Au sein de ces vastes contrées inexplorées que constitue le cinéma d’exploitation, le « WIP film » (« Women in prison ») occupe une place à part. Avec son univers codé, ses rites immuables où l’on retrouve des séances de douches collectives, des crêpages de chignons entre prisonnières et toute sorte de sévices infligées à de malheureuses détenues par de cruelles gardiennes ; ce sous-genre de la sexploitation a fleuri en Europe dans les années 60/70. Jess Franco, avec des films comme Quartier de femmes, Femmes en cage, Le pénitencier des femmes perverses, Camp d’amour pour mercenaires, Frauen Ohne Unschuld, Die Sklavinnen ou encore Sadomaniafut l’un des piliers du  genre.
Ce qui peut déjà apparaitre aux yeux du cinéphile respectable comme une sous-catégorie bien peu recommandable du cinéma d’exploitation va dégénérer pour donner naissance aux svastikas-films, regroupés également sous le nom de nazisploitation.
Pourtant, c’est du côté du cinéma traditionnel qu’il faut se pencher pour trouver les racines de ce cinéma exploitant de manière assez crapoteuse (il faut bien le reconnaitre) le décorum nazi pour proposer aux spectateurs des spectacles à base d’érotisme et de sadisme. Dès la fin des années 60, certains cinéastes remettent à l’honneur la période nazie et s’interrogent sur les rapports bourreaux/victimes pour le meilleur (Les damnés de Visconti) ou pour le contestable (le parfois douteux Portier de nuit de Cavani). Mais c’est surtout au Salon kitty de Tinto Brass, naviguant entre cinéma « d’auteur » – entre Salo et Fellini – et cinéma d’exploitation gorgé de cet érotisme débridé cher au cinéaste que l’on devra cette mode de la nazisploitation qui durera le temps de 11 films (entre 1976 et 1977) en Italie.

 

Sergio Garrone débuta au cinéma en réalisant des westerns spaghettis avant d’aborder, au milieu des années 70, le genre érotique et sa variante sadomasochiste que l’on retrouvera de manière exacerbée dans ses deux svastikas-films (après Horreurs nazies, aussi connu sous le nom du Camp des filles perdues, il réalisera Roses rouges pour le führer dans la foulée). Dans un des suppléments du DVD, le cinéaste confie à la caméra que l’Italie a toujours été une nation de « copieurs » et que le cinéma de genre transalpin s’est toujours plu à suivre les tendances à la mode pour les réinvestir de manière plus ou moins habile. Après avoir copié et usé jusqu’à la corde le western façon Leone, le film de zombies à la Romero, le succès de la saga Emmanuelle ; nos amis italiens vont s’appuyer sur le succès de Salon kitty pour exploiter le filon des horreurs nazies jusqu’à plus soif.
Horreurs nazies est le premier titre de cette saga. Extrêmement racoleur, il possède toutes les caractéristiques de ce sous-genre et du WIP films : arrivée des détenues dans un camp de concentration, douches collectives, promiscuité féminine, cruautés exercées sur ces prisonnières réduites à des cobayes humains… D’aucuns jugeront ce film inadmissible dans la mesure où il exploite avec un réel mauvais goût les atrocités nazies pour mettre en scène une succession de tableaux érotiques (plutôt soft) et gore (scènes de torture, d’opérations chirurgicales où le boucher du coin a dû être mis à contribution…). Si Rivette reprochait à Pontecorvo un fameux travelling à la fin de Kapo, plaçant le spectateur du côté des bourreaux, que dire de ce film qui nous offre systématiquement  le point de vue des nazis et nous invite à jouir du spectacle de donzelles déshabillées et malmenées ?
Pourtant, on aurait tort de s’offusquer en prenant le genre au sérieux. L’un des aspects de la nazisploitation est de relever d’une imagerie qui ne vise jamais au réalisme. Le film de Garrone s’inscrit davantage dans la tradition d’une certaine littérature populaire ou de la bande dessinée pour adultes (on songe aux titres édités par Elvifrance). Comment ne pas voir l’aspect totalement aberrant de ce récit où le colonel du camp va se faire transplanter de nouveaux testicules afin de retrouver sa virilité ? Parallèlement aux autres expériences menées sur les prisonnières (dont de mystérieux accouplements effectués dans une cuve d’eau), cette histoire abracadabrante de greffe va donner lieu à des scènes sanglantes aussi ringardes qu’éprouvantes (notamment un flash-back où le colonel se fait arracher les bijoux de famille avec les dents par une de ses victimes juives qu’il avait tenté de violer !).
Difficile de faire plus folklorique que cette œuvre fauchée où le cadre historique sert surtout au cinéaste à dessiner des portraits d’ignobles méchants d’opérette. Seul un beau sergent allemand succombera au charme d’une détenue afin d’apporter une petite touche mélodramatique à l’ensemble.
Si le principe même de la nazisploitation peut paraître contestable (utiliser les pages les plus sombres de l’Histoire pour flatter de vils instincts chez le spectateur, fascination trouble pour les oripeaux du nazisme –uniformes, drapeaux…-), l’irréalité folklorique du genre permet également de l’aborder avec une certaine distance amusé. Evidemment, on est plus indulgent lorsqu’un Spielberg plonge de manière outrancière dans le pathos chez Spielberg, puisque c’est pour « la bonne cause ». Mais la nazisploitation ne se prend jamais au sérieux et ne prétend pas asséner une « vérité » historique. Elle vise à déployer un petit théâtre cruel et aberrant dont l’extrême complaisance finit par être presque fascinante…

 

NB : A noter que le DVD est agrémenté de beaux suppléments dont une superbe présentation d’Eric Peretti qui revient en long et en large sur l’histoire de la représentation des nazis au cinéma, en particulier dans le cinéma d’exploitation

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A propos de Vincent ROUSSEL

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