Rob Zombie – « 31 »

On pourra toujours s’acharner à critiquer le cinéma de Rob Zombie. Il n’empêche que voilà près de 15 ans (depuis La maison des 1000 morts  en 2003) qu’il impose un univers frénétique et poisseux dans lequel transpire son amour pour le cinéma de genre des années 70, au point qu’au delà de la patine vintage et des grattements de pellicule, il puisse parfois donner l’illusion de l’avoir tourné dans cette période, comme en témoignait le remarquable Devil’s Rejects, son meilleur film à ce jour. L’ombre « bienveillante » de Tobe Hopper rode plus que jamais dans 31, qui maintient son atmosphère le double sentiment du suspense et du rire potache. Il partage avec lui ce même plaisir de joindre fantastique et dégénérescence, terreur et farce macabre. Rob Zombie continue d’offrir un cinéma unique toujours propre à déclencher la controverse. Tant mieux.

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En l’espace de quelque jours, 31 passe de quelques présentations à des festivals à sa disponibilité sur les sites de téléchargements ; il ne fallut pas attendre longtemps pour qu’on puisse lire sur les réseaux sociaux de constructives critiques telles que « c’est une merde » ou « j’ai vu la dernière bouse de Rob Zombie ». Pourtant, 31 mérite mieux qu’une telle distribution et une telle finesse d’analyse. Après le dépressif et splendide, Lords of Salem, Zombie s’offre une récréation, avec ce jeu de massacre au sens propre qui rappelle le fonctionnement des torture porn pour mieux s’en éloigner  ; mais une récréation tapageuse et rageuse, toujours sauvage, qui porte la patte du cinéaste dès sa scène d’exposition, nostalgique et ensoleillée, ses personnages en mode « road movie », copains en balade sur les routes états-uniennes aux couleurs brûlées. Zombie n’a jamais caché son amour du référentiel. Il est l’enfant de Massacre à la tronçonneuse et il le montre une nouvelle fois, revenant à ses premières amours, l’horreur craspec et hystérique, un monstrueux baroque qui suinte et hurle, avec de l’écume, de la crasse et du sang.

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Tel un bloc formel quasi conceptuel, Zombie encadre son film entre deux séquences violemment surexposées, avec les ténèbres au milieu. Car à une vitesse folle, il envoie ses personnages dans les cercles de l’Enfer, un enfer forain quitte à troquer la narrativité contre la mécanique d’épreuves d’un jeu d’arcades : passons à la victime et au meurtrier suivants. Jouons et tuons ! Dans cette caverne métamorphosée en palais décadent, les maîtres du jeu Father Murder et Sister Dragon incarnés par un Malcolm McDowell et une Judy Geeson déchainés envoient les assassins et lancent les enchères. Ces pions sur un échiquier doivent faire face à leurs assaillants éructant leur violence et où la frayeur s’entremêle au grotesque, à la rencontre de Schizo Head, Psycho Head, Doom Head, Sick Head. 31 est un cirque hurlant et gore porté par un freaks spirit enthousiasmant dans lequel on croise des clowns tueurs et des nains psychopathes déguisés en Hitler. C’est bien simple, on se croirait chez un mix de Maruo et Tinto Brass. Le spectacle est gore, le combat se fait à l’arme blanche ou à la tronçonneuse pour écharper ou éventrer et Zombie arbore le grand guignol et la gratuité comme un étendard.

La force subversive du cinéma de Zombie tient à sa dimension cathartique même. Cette volonté de rire de toujours rire du chaos trouve manifestement son apogée dans la symbolique du clown. Le clown a beau renvoyer a l’enfance, il pétrifie autant qu’il provoque le rire. Et Stephen King n’est pas le premier à l’avoir pensé. Le rictus morbide n’est jamais loin : Zombie le pousse à son paroxysme en faisant déborder plus qu’à raison le maquillage. Il devient l’incarnation paradoxale des peurs enfouies, refoulées – et le raccourci entre l’enfance et la décomposition. On oublie facilement combien le cinéma de Rob Zombie est – derrière sa bouffonnerie et son grotesque, foncièrement fissuré. Le film le plus méprisé de Zombie, Halloween 2, oeuvre malade (si le terme est galvaudé, il convient ici parfaitement) contient pourtant à lui seul toutes les contradictions d’un cinéma qui hésite entre la poilade et le suicide. 31 tient donc du défouloir joyeux et brutal. C’est du côté d’Hershell Gordon Lewis et de ses 2000 maniaques qu’il faudrait se pencher, lorsque la mise à mort devient un éclat de rire jeté par des « rednecks » dégénérés. Lorsque le ver est dans le fruit (ainsi va le monde semble dire Zombie), le festin qu’il propose est délicieusement putréfié. Certes on pourra reprocher au cinéaste de jouer un peu trop au « shaker » avec sa caméra tout près de la peau, rendant parfois les scènes peu lisibles, ou critiquer un argument de départ un peu trop proche d’un Saw ou d’un Hostel (à qui il emprunte l’idée d’une confrérie occulte de privilégiés qui paient beaucoup pour se délecter du spectacle de la mort). Mais le plaisir du régressif – transgressif l’emporte, tant Zombie orchestre ce train fantôme grandeur nature, dans lequel on monte en poussant des cris d’horreur, avec ses monstres grimaçants, ses fous qui arrivent derrière vous…  pour vous trucider. Mesdames et messieurs, donnez moi vos tickets, prenez place, veuillez embarquer, le wagon va démarrer.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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