Produit en 1950 par la fameuse compagnie Republic Pictures (plus connue pour ses serials et séries B, et se trouvant alors dans une décennie de recherche de respectabilité), House by the River est un film quelque peu à part dans la filmographie américaine du grand Fritz, pourtant déjà bien riche en beautés imparfaites et mystérieuses. Comme on peut le découvrir dans les très bons suppléments du DVd Wild Side, l’œuvre n’a jamais eu la chance de sortir dans les salles françaises ; pire, une partie de son négatif original 35mm a été endommagé et la plupart de l’exploitation du film aujourd’hui se fait à partir d’une version 16mm… De quoi o »bscurcir l’obscurité » de ce long métrage diffusé seulement au cinéma de minuit par Patrick Brion. Mais aussi d’entretenir son chant vénéneux.

Lang qui vient de sortir de l’échec en salle du grand exercice de psychanalyse bancal que fut Secret Beyond the Door revient à priori à une intrigue plus classique et linéaire, où tout commence toutefois par une pulsion. Stephen, un écrivain raté (joué par le quelque peu excessif Louis Hayward), tue par accident sa bonne en cherchant à lui soustraire des faveurs… Entraînant son frère boiteux, il maquille le crime en fuite et se débarrasse du corps dans la rivière voisine. Bien évidemment cette dernière rejette toujours ce qu’on aimerait qu’elle cache à tout jamais…et les soupçons vont plutôt tendre à accuser le complice par filiation que le coupable.

On retrouve à priori des thèmes très langiens sur la culpabilité et ce qui peut pousser tout un chacun au mal, sur ce qui permet aussi de juger les actes d’autrui… un bain dans l’ambiguïté fondamentale des faits. Mais ici l’ensemble a une dimension plus perverse. En filigrane, le cinéaste propose en effet un regard très acéré sur la création. Non seulement le crime propulse les œuvres de son auteur sur le devant de la scène littéraire, mais l’acte de tuer va allumer une étincelle d’inspiration on ne peut plus frénétique. Un personnage anodin sombre dans la démence en même temps que son œuvre prend forme. Ce caractère personnel qui s’instaure tout le long du film n’est pourtant pas du qu’à un fantasme artistique.

La biographie de Fritz Lang est elle-même nourrie de ce genre de trouble : alors qu’il avait entamé sa liaison avec la scénariste Thea Von Harbou, au moment de son premier film, sa première femme mourut dans des circonstances mystérieuses. Un cas jamais tranché entre suicide ou culpabilité directe de Lang. Dans House of the River, ce fait divers ambigu, qui en soit peut-être une ramification de tout l’art du cinéaste, se dédouble plus directement. Pour entretenir le malaise, plus qu’un mystère policier, Lang va verser allègrement dans l’allégorie plastique et poétique. La rivière qui s’écoule en face de la villa bourgeoise est matière à des digressions fantastiques qui vont être poussées de plus en plus viscéralement jusqu’à l’absurde du final. Ici Lang, contraint au happy end, s’en sort avec une pirouette qui fera basculer définitivement le film dans l’onirique.

On sera gré au cinéaste de ne pas avoir joué de symbôles imagés trops lourds et définitifs dans son traitement général… A cela il préfère plutôt compléter les séquences aquatiques par un humour macabre et absurde qui prolonge le film dans l’étrange. La course au cadavre flottant, emporté par des courants que ne peut contrôler le pauvre Stephen, est matière à un évident sardonisme de la part du cinéaste. Si House by the River devance Night of the Hunter de Laughton, il reste aussi une bande nettement plus empreinte de méchanceté. Pas d’enfance et d’innocence salvatrice… Lang casse même les règles de l’identification avec des personnages assez atypiques que lui garantie quelque peu cette production « indépendante », imposant en prime une belle histoire d’amour étouffée.

Comme dans Ministry of Fear, on se retrouve avec House by the River face à une séquence introductive absolument époustouflante : noir et blanc gothique et inquiétant, cadrages et montage d’une grande musicalité, trouble dans l’irruption des plans. On a le sentiment rare et quelque peu extatique aussi d’un cinéma en mouvement direct qui n’existe et s’exprime que par lui-même… Malheureusement les artifices d’un récit plus standardisé reviennent au bout de 20 minutes, et Lang malgré sa grande liberté de traitement ne parviendra jamais à totalement s’en affranchir (contrairement cette fois à Laughton). Peut-être que la petite insatisfaction qui subsiste vient un peu de là en fin de compte : comme dans beaucoup de Lang américains on a à faire avant tout à des adaptation personnelle de codes bien pré-établis. Mais les montées d’escaliers, les perspectives sur les ouvertures de portes, les papiers peints absorbant littéralement les personnages font esthétiquement union avec le flot, inquiétant et calme, de la rivière. Celà pourrait virer à la simple  pesanteur, heureusement ces eaux nous emportent surtout vers la démence.

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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