Le Cavalier Noir (1961) n’a pas usurpé sa réputation sulfureuse de western atypique au sous-texte homosexuel crypté… et encore, lorsqu’on quand on dit « crypté », si le propos fut largement édulcoré dans la version française, rien n’y est franchement dissimulé dans sa version originale. Car à travers cette histoire de l’arrivée du prêtre Michael Keogh (John Mills) semant le désordre dans une petite ville que terrorise le bandit Anacleto, se profile un triangle amoureux des plus surprenants, plus encore dans les années 60.

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Dirk Bogarde, Anacleto dans « The singer not the song »

Le Cavalier Noir restituerait en quelque sorte l’archétype passionnel de Duel au soleil en le déclinant de manière on ne peut plus singulière, un homme et une femme se disputant ici les faveurs d’un prêtre se raccrochant désespérément à la Foi. Bien plus qu’une curiosité, Le Cavalier noir est une œuvre dense et complexe, qui charrie de

manière spectaculaire la fureur du désir rentré, interroge la valeur et l’identité du Mal. Dirk Bogarde en bad boy en pantalon de cuir suscite le trouble autant chez les personnages que chez le spectateur, nous conduisant allégrement d’une impression à l’autre. Qui est-il véritablement ? Le génie du jeu de Dirk Bogarde permet de maintenir le doute jusqu’au bout. Quant à Mylène Demongeot, en incarnant l’indiscernable Locha, elle prouve une fois de plus que, loin d’être une potiche, elle est aussi bien meilleure actrice que Bardot.

Nous ne vous donnerons pas d’explication du titre original « the singer not the song » si ce n’est pour vous dire qu’il en résume la tension sexuelle et sentimentale comme l’enjeu spirituel. Roy Ward Baker se complait à jouer sur la panoplie virile du cowboy et sur les stéréotypes, en insistant sur l’accoutrement « cuir » d’Anacleto qui anticipe sur l’allure de Diana Rigg dans certains épisodes des Avengers (1) Le pantalon moulant vient provoquer la soutane. Indéniablement, ambiguïté et identité sexuelles fascinaient le cinéaste : lorsqu’il s’illustra dans l’épouvante british période Hammer, il fera du Docteur Jeckyll un homme se métamorphosant en femme dans le superbe Docteur Jeckyll et Sister Hyde et adaptera avec The Vampire Lovers le roman de vampirisme lesbien la plus célèbre, Carmilla  de Sheridan Le Fanu.

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Diana Rigg, Emma Peel dans les « Avengers »

Un drôle de « western britannique » que ce Cavalier Noir, donc, avec son rythme curieux, ses changements de tons perturbants, sa propension à nous mener d’un style à l’autre, feignant de mettre en scène le genre pour mieux nous entraîner dans les méandres psychologiques de ses personnages. Il pourrait presque virer à la tragédie, si une ironie noire n’en contrebalançait pas constamment les émotions. Car la saveur du Cavalier Noir, nourri aux sous-entendus et au clins d’œils psychanalytiques, tient aussi à son humour subtilement dévastateur, pince sans rire, totalement subversif, formidable outil pour contourner la censure.

Les réactions des personnages, étonnamment peu cinématographiques (lire « peu hollywoodiennes ») semblent être minées par les non-dits. Dans ce trio, nul n’avoue ses sentiments, chacun gardant sa cuirasse protectrice, qu’il s’agisse de la religion, de l’énergie juvénile ou du Mal incarné. Et lorsque survient l’aveu de l’amour, il ressemble à un mouvement de panique, in-extremis, un dernier recours. On est justement presque surpris, par cette héroïne si peu sentimentale, qu’on imagine libérée lors qu’elle déguise une douleur rentrée. Dans The Singer not the song, il n’y a pas que le cavalier qui avance masqué.

 

Présenté pour la première fois dans son format scope d’origine, Le Cavalier noir sort ce 2 février aux éditions Rimini, accompagné d’un interview de Jean-François Giré (qui paraît parfois un peu frileux tout de même concernant les allusions homosexuelles) auteur de Il était une fois… Le western européen. Il évoque notamment la gestation compliquée du film avec un Roy Ward Baker qui en tant qu’athée convaincu ne voulait pas faire le film et la déception de Mylène Demongeot voyant arriver John Mills à la place de … Charlton Heston. On retrouve d’ailleurs cette déception dans le savoureux témoignage de l’actrice, sur un deuxième supplément. On en vient à se demander si ça n’est pas grâce au chaos même de son élaboration,  à sa dimension « contre-nature » que Le Cavalier Noir est devenu cet objet qui ne ressemble à aucun autre.

 

 

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(1) Roy Ward Baker en réalisa 8 épisodes entre 1965 et 1968

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