Paul Vecchiali – « En haut des marches » (1983) et « Rosa la rose » (1985)

On avait quitté Paul Vecchiali sur « Corps à cœur », l’ultime film des années 70, qui clôturait la première partie de la rétrospective distribuée par Shellac. Demain, ce sont quatre films réalisés durant la décennie suivante que l’on va pourra redécouvrir, le 8 juillet 2015, au cinéma : « En haut des marches » (1983), « Rosa la rose, fille publique » (1985), « Once More » (1987) et « Le café des Jules » (1988). Une décennie, tout aussi prolixe que la précédente, bien loin du style tapageur des années 80 et des effets de mode. Le réalisateur y pousse un bon cran plus loin l’élaboration formelle de ses films, notamment avec « En haut des marches » et « Once More » ; deux films qui concilient étourdissement visuel et grande force émotionnelle.

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Danielle Darrieux et Hélène Surgère dans « En haut des marches »

« En haut des marches » (1983), s’inscrit entre deux films tournés plus rapidement : « C’est la vie ! » (1980) (non présenté dans la rétrospective mais visible dans l’édition DVD sortie récemment par La Traverse/Les éditions de l’œil) et « Trous de mémoire » (1984) (film aux dialogues improvisés en direct, par Paul Vecchiali et Françoise Lebrun (tous deux acteurs à l’écran), mais non visible pour l’instant). S’il n’y a pas lieu d’opposer les films entre eux (du moins l’importance de leur gestation ou de leur tournage), les uns posant les ferments des développements à venir tout en réalisant leurs propres projets, il est évident qu’ « En Haut des Marches » se distingue, comme « Corps à cœur » avant lui, par sa complexité et son ambition. Dédié à sa propre mère, récemment décédée « qui ne pourra pas voir le film », et que Vecchiali ranime sous les traits de Danielle Darrieux, « En Haut des Marches » est un hommage en forme de portrait multiple (la mère donc, tout d’abord ; la figure du père « assassiné » symboliquement par une dénonciation injuste ; et la ville de son enfance, Toulon, également célébrée), qui est reformulé en langue de cinéma, et dont la figure clé, est évidemment Darrieux – une icône vénérée par le cinéaste, pendant symbolique et affectif de sa propre mère.

« En haut des marches » narre le retour possible mais imaginaire, et plein d’onirisme, de Françoise Canavaggia, alter égo fictif de la mère de Paul Vecchiali, à Toulon. Nous sommes en 1963, et une longue période de trouble, l’occupation et ses séquelles, avec la confusion de l’idéologie et des intérêts personnels, vient de céder sa place à une autre, la France de l’après Algérie, qui suscite autant des déchirures, avec tabous, violences, et procès clandestins. Quand Darrieux arrive en gare de Toulon, c’est bien-sûr tout le cinéma, avec ses couleurs « demy-esque », qui débarque avec elle (et l’image du train n’est pas fortuite pour qui connaît le célèbre film des frères Lumières) : une vendetta de fiction, pour venger le mari dénoncé, mais bien vécue intérieurement, s’installe sur l’écran ; un procès mis en scène dans un décor anachronique emprunté à « Prison de femmes » de Roger Richebé ; et le charivari d’une mémoire fantasmée qui ne discerne plus, via les sortilèges du montage, qui des sensations, du présent et du passé, des faits ou de la fiction, des spectres et des vivants.

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Danielle Darrieux et Micheline Presle dans « En haut des marches »

Vecchiali fait donc, très littéralement, revenir sa mère pour un pèlerinage émotionnel dans cette ville-histoire, qui lui tend au détour de chaque rue, ses souvenirs en miroir pour un revécu incessant. Cette mère devient elle-même fantôme de fiction, une silhouette qui flotte irréellement, un peu confuse, dans les rues de la Basse-Ville ou du Mourillon. Le fils-réalisateur tente aussi de recréer la vie intérieure de cette femme assez inaccessible, comme si tous deux, pouvaient se rejoindre, peut-être mieux ici qu’ailleurs, par la magie du cinéma. C’est le possible jardin secret, avec ses aspirations artistiques, d’une femme courageuse qui a arboré toute sa vie durant, par sacrifice et pragmatisme, un visage d’autorité, et une obstination un peu sèche, héritée de ses origines corses (un stéréotype dont elle, via les mots de Darrieux et Vecchiali, s’amuse presque, en en faisant le carburant d’une vendetta policière). Le film fait ressurgir toute l’espièglerie enfantine du personnage, par touche picturale ou mélodique, avec des surimpressions de bouquets fleuris, en témoignage, sans cesse reconduit, de (double) amour filial.

« En haut des marches » pourrait être un film solennel, avec sa convocation pesante de l’histoire familiale et collective, mais il ne l’est pas, car il est tempéré une nouvelle fois par la fameuse « dialectique » de Vecchiali ; un jeu pris entre l’authenticité des émotions décrites ou remémorées, et les inventions perpétuelles de cinéma qui s’y glissent, pour amener le film sur le terrain de la plus pure fiction, de l’interprétation jouée, de la mise en scène rendue manifeste, de la fantaisie – de toute une réinvention libre mais respectueuse. Ainsi « En haut des Marches » est, plus que jamais, un hommage malicieux au cinéma qui offre, comme dans ce complexe de mémoire et d’imaginaire (véritable recréation du personnage de la mère « par l’intérieur »), ses échappées, ses moments d’incrédulité, ses folies visionnaires, et ses mises en garde de fiction. Il n’en demeure pas moins que le film est profondément bouleversant, par sa forme, et son crescendo dramatique (la fameuse montée des marches finale), tout comme par la façon qu’il a d’investir l’Histoire par le « dedans », par un témoignage vécu et « ordinaire » qui met à mal les certitudes établies.

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Pierre Cosso et Marianne Basler dans « Rosa la Rose… »

Après « En haut des marches », on pourrait juger que « Rosa la rose, fille publique » est un film un peu plus léger, moins investi et moins personnel. Si la forme peut paraître un peu plus spontanée, et le trait plus vif, rapide, il n’en demeure pas moins que « Rosa… » est un nouveau projet très réfléchi de cinéma, une tentative chez Vecchiali de réaliser un mélodrame, d’en raviver le souvenir, l’imaginaire, et les ingrédients les plus purs. « Rosa… », par delà son histoire, celle d’une jeune prostituée qui tente d’échapper à son souteneur après avoir succombé, pour la première fois, au sentiment amoureux, est une nouvelle métaphore du cinéma fait personnage. Interprétée par Marianne Basler, alors jeune actrice à peine débutante, « Rosa… » est l’avatar de la fille de joie des films des années 30, 40 et 50, un double hommage dédié à la Rosa la Rose d’ « Elena et les hommes » de Jean Renoir (jouée par Dora Doll), à la M’ame Rosa du « Plaisir » de Max Ophüls (Darrieux toujours) ; et même à Vivianne Romance. Mais également, à un niveau d’abstraction supérieur, Rosa est une allégorie du cinéma, de sa candeur originelle jusqu’à sa corruption industrielle, qui finira, comme dans le finale de « Nosferatu », consumée par la lumière du petit jour. Le proxénète, Gilbert joué par Jean Sorel, est lui-même l’antipode du maquereau : une sorte de père aimant et amant, cinéphile et sensible, qui protège sa créature, une sainte « vedette » qui condense tout son imaginaire de cinéma. Vecchiali revisite donc les archétypes du cinéma « populaire », en leur insufflant un humour constant (les prostitués, hormis Rosa, prennent pour nom le numéro de la porte cochère où elles ont l’habitude de tapiner ; les saynètes scabreuses auxquelles Rosa se prête, avec une humeur rieuse, pour satisfaire les lubies sexuelles des clients) et un arrière-fond, plein d’allusions cinéphiles, subtilement métaphorique.

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Marianne Basler et Stéphane Jobert dans « Rosa la Rose… »

Le film contient une grande scène de bal, réécriture tendrement sacrilège de la Cène qui dit déjà le drame à venir, et célèbre à nouveau, l’amour de Vecchiali pour la chanson, catalyseur émotionnel hérité du cinéma antérieur à la Nouvelle Vague. D’abord conçu en mouvements linéaires (le rituel quotidien de tapin avec les stations à l’hôtel pour les passes ; les allers-retours entre la rue et le bureau du souteneur, asile familial des prostituées, dissimulé à l’arrière d’un café), le film prend rapidement la forme d’une folle ronde prisonnière. Rosa endosse, peut-être au gré d’une contamination cinéphile inconsciente qui la prédétermine, le rôle de victime décrétée par la fatalité. Elle croit son émancipation et son amour impossibles. Le carrousel, un manège archaïque de chevaux de bois en plein milieu du quartier des halles, et la java jouée à l’accordéon, ne font qu’amplifier cette figure circulaire et concentrique du récit, celle d’une destinée piégée à l’issue forcément malheureuse.

« En haut des marches » (1983) et « Rosa la rose, fille publique » (1985) de Paul Vecchiali
Sortie nationale le 8 juillet 2015 – copies DCP

crédits : (c) Shellac

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