John Ford – « La Taverne de l’Irlandais (Donovan’s Reef) » (1963)

Reprise en salles d’un film tardif de John Ford. Comédie exotique sans prétention, qui fait se retrouver une dernière fois le réalisateur et son acteur fétiche John Wayne, « Donovan’s Reef » se savoure comme un film de vacances décontracté et doucement licencieux. On y voit Lee Marvin, Dorothy Lamour et même Marcel Dalio, dans des apparitions anecdotiques mais toujours plaisantes. Le très beau technicolor, le cabotinage et le relâchement très bon enfant du film, compensent une mise en place fastidieuse et quelques gags assez poussifs. « Donovan’s Reef » demeure en dépit de ses défauts, et peut-être aussi, un peu, à cause d’eux, une oeuvre pleine de charme. Le film se dégustera donc comme tel : une sorte de divertissement improbable, pour petits et grands enfants, dont le burlesque doit davantage à la bande dessinée et aux cartoons qu’aux grands récits fordiens…

Sur l’île de Haleakaloa en Polynésie, s’est formé un microcosme folklorique où d’anciens soldats américains, des autochtones, des asiatiques et quelques français, cohabitent nonchalamment entre alcool, bagarres amicales et rituels de bienvenue très hospitaliers. Donovan tient sa taverne tandis que le docteur Dedham, un autre ex-soldat, a créé un hôpital pour enrayer la pauvreté et le manque de soins de la population. L’annonce d’une visite impromptue d’Amélia Dedham, qui vient de Boston et n’a plus eu de nouvelles de son père depuis la guerre, sème la panique. Sa mère, l’épouse américaine que Dedham a délaissée, a cédé un héritage important à l’ancien soldat. Amélia vient donc vérifier si ce père démissionnaire mérite cet héritage sans se douter qu’il a refondé une famille entre temps. En l’absence de ce dernier, c’est le rugueux mais bienveillant Donovan qui va se charger de l’accueil d’Amélia. Par amitié, il mettra tout en œuvre pour que l’héritage n’échappe pas à Dedham ni à ses œuvres médicales. Donovan devra pour cela dissimuler coûte que coûte les trois enfants métisses qu’a eu le docteur, avec feue une polynésienne, en les faisant passer pour siens. La confrontation avec Amélia, jeune citadine guindée et puritaine, va tourner au bras de fer…

Bagarres homériques de bar, amitiés alcoolisées, intrigue sentimentale, confrontation loufoque, exotisme, récit initiatique, « Donovan’s Reef » est une sorte d’amusant fourre-tout. Procédant par scènes truculentes, il donne parfois l’impression d’un scénario confus qui se délite au rythme des incongruités qui le traversent. Le film est surtout le faire valoir d’une star vieillissante, John Wayne, qui campe ici le rôle du brave et brutal célibataire. L’emploi souvent sommaire des acteurs, qui sont cantonnés à jouer les apparitions tonitruantes (Marcel Dalio en prêtre français, Dorothy Lamour en fille de bar et Lee Marvin en grand gamin bagarreur) donne une couleur ludique au film, entre inconséquence et invraisemblance généralisée. Les acteurs y incarnent davantage des traits de tempéraments, volontiers débordants ou déviants, et des costumes, plutôt que des personnages étoffés. Ce jeu de figures, très ligne claire dans sa simplicité graphique et son absence de manière, n’est pourtant pas étranger au plaisir « enfantin » que procure le film. L’irrévérence du réalisateur y contribue également dans une certaine mesure. Ford s’amuse, en vétéran qui n’en a que faire, à montrer les autochtones en grands enfants mal civilisés, naïfs ou ignorants, et dans le même temps les civilisateurs en débauchés ou en bons vivants qui en abusent. Il y a le gouverneur au paternalisme complaisant envers les vahinés, un fonctionnaire asiatique qui peste sur la bêtise crasse de ses congénères, ou encore, maintes annotations d’un humour mâle et misogyne. Le film, sans qu’on en dévoile l’issue, se refermera d’ailleurs sur une fessée magistrale assenée de main de maître sur un postérieur rétif. Entre machisme à répétition et pochade colonialiste, le mauvais goût et l’humour facile ne sont donc jamais loin. Le film en déborde pourtant l’écueil par sa vaillante bonhomie, ses malices, ses enfantillages.

Au nœud de la farce, Ford touche pourtant une question plus délicate et incorrecte qu’elle ne paraît : celle des anciens soldats américains qui ne sont pas revenus et ont entamé dans le pacifique une seconde vie, laissant leur famille initiale derrière eux. Cette fuite hors civilisation dans une sorte de paradis « asocialisé » et la célébration de l’immaturité régressive qui l’accompagne, finissent par toucher. Son charme estompe même les imperfections nombreuses d’un film composite et parfois négligé. Bien évidemment, l’amoralité du fond, avec les frasques de ces colons dévoyés, sera tempérée par un dénouement qui rétablit les convenances tout en révélant le bon fond des personnages. Le docteur n’a abandonné sa famille que par humanisme, pour épouser celle plus grande et plus déshéritée de l’île; les bagarreurs soulards finiront par entrer en ménage; les familles des deux côtés du Pacifique se réconcilieront. La belle fable, trop charmante pour être vraie, laisse pourtant les deux irrécupérables du bar rêver, leurs cadeaux de noël en main, encore accoudés au comptoir souillé de la taverne. C’est Dorothy Lamour, la fille de bar mûre, qui contemple la robe de mariée offerte par Amélia et rêve toujours à un mariage improbable. C’est Lee Marvin, le tenancier du bar insensible et railleur, qui n’en a que pour les tchou-tchous imaginaires de son circuit de train miniature. Apologie de l’impénitence donc, en mode rieur, usée, salace, mais  chantante.


sortie en version numérique restaurée le 16 octobre

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