version restaurée, sortie en salles le 31 juillet
Méconnue et pourtant essentielle, la trilogie Bill Douglas fait partie des grandes œuvres cinématographiques anglaises de la période qui va des années 60 à 80, et trouve une place, légitime, entre le cinéma engagé d’Alan Clarke ou de Ken Loach, et le Free Cinéma, alors florissant, d’une poignée d’individus aussi divers que Lindsay Anderson, Karel Reisz ou John Schlesinger. Pour autant, cette trilogie, réalisation quasi-unique du cinéaste, reste une œuvre singulière qui ne saurait être réduite ni à l’une ni à l’autre des étiquettes. Le cinéma de Bill Douglas se situe dans une sorte de hors temps poétique, réminiscent et douloureux, et se découpe en tableaux, telles les vignettes fascinantes d’un vieil film expressionniste muet. Comme le titre de chaque métrage l’indique sans détour, il s’agit d’un récit à la première personne. Bill Douglas y évoque sa propre enfance, vécue dans des conditions de grande pauvreté et de carence affective.
Dans My Childhood, premier volet du feuilleton, on suit le quotidien de Jamie, jeune garçon d’une petite dizaine d’années et alter égo filmique du réalisateur. Nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale dans un petit village écossais rural et minier. Jamie vit avec Tommy, un adolescent un peu voyou et brutal, et une grand-mère maternelle vieillissante, affligée par la perte récente de son époux. On le comprendra progressivement mais ce qui se joue ici, c’est la survie de ces deux « quasi » orphelins, abandonnés par leurs pères et une mère qui a sombré dans la folie. Partout, Jamie recherche avec désespoir une figure paternelle à laquelle se raccrocher, d’abord chez un ancien soldat allemand devenu mineur, puis en renouant avec son père biologique qui rechigne à la reconnaître, et enfin, auprès d’un directeur d’orphelinat bienveillant qui saura faire naître en lui un semblant de vocation artistique.
La trilogie est donc cette histoire d’une enfance contrariée, aussi dure que douce, mais occasionnellement drôle y compris dans ses pointes de cruauté. En légitime rejeton de Dickens, Jamie se verra remettre par sa grand-mère paternelle, sorte de harpie hystérique, un cadeau empoisonné, qui le ravira d’abord mais finira par l’exaspérer passés les premiers efforts de lecture. Insoutenable miroir littéraire, l’exemplaire illustré de David Copperfield finira la reliure arrachée, piétiné dans un accès de rage. Jamie, frère d’infortune du Kid et d’Antoine Doinel, mutique et rabougri avec sa gravité d’enfant adulte, n’a de cesse de trouver sa place, pris dans le balancement inconfortable entre ses origines ouvrières et des aspirations artistiques appartenant à un autre monde social. Malgré les avilissements et l’apathie qui le gagne à mesure que son enfance lui échappe, Jamie parviendra cahin-caha à se construire, s’érigeant comme une herbe folle par-dessus la montagne de charbon qui menaçait de l’ensevelir.
Si la trilogie commence par une série d’épisodes d’une grande noirceur, elle est aussi une formidable ode à la vie et à la force de volonté. Dès le deuxième épisode My Ain Folk, ce sont deux éclaircies presque irréelles qui vont revitaliser les personnages : l’irruption d’un bout de film en couleur et ses reflets sur le visage émerveillé des enfants, un noël à l’orphelinat avec le tintamarre des harmonicas offerts aux enfants. Ombrageux et solitaire, Jamie s’éclipse du concert collectif pour emboutir maladroitement, à la force d’un clou et d’un talon de chaussure, son prénom sur le capot de l’instrument. Les trois films regorgent de ces scénettes éloquentes, lumineuses et mélancoliques, qui nous aident à ressentir les états émotionnels et transitoires du garçon. La syntaxe cinématographique, très épurée, privilégie les champs et les contrechamps, les effets de cadre, d’espace et de montage. Jamie, scruté par la caméra, est toujours pris entre deux aspirations contradictoires, s’échapper du cadre ou l’occuper, pour en finir avec ce sentiment d’être étranger au monde. C’est avec les moyens très visuels du cinéma que Bill Douglas se raconte, montrant plus qu’il ne dit : succession de situations, de portraits, infinie délicatesse d’observation. Le long des trois films, c’est la sensibilité de Jamie qui se réveille, avec pour point culminant, les surexpositions finales lors du service militaire en Egypte.
Au-delà de sa biographie, Bill Douglas compose un hommage au cinéma, celui-ci lui ayant permis de revenir à la vie et de regagner un amour propre aliéné par tant de vicissitudes. L’authenticité documentaire (les interprètes principaux ne sont pas des acteurs professionnels) et le naturalisme, n’ont de pair que l’extrême stylisation visuelle du récit qui en transcende, bien souvent, le contenu. La Trilogie est une œuvre assez pudique, intimiste et mélancolique, et la perle noire des débuts finit par se muer en perle blanche du long de sa course laconique vers le bonheur. Comme Jamie et Tommy, le spectateur reste perché sur le viaduc de la voie ferrée et se laisse porter par les volutes de vapeur pour échapper à la gravité, le temps éphémère de ce train de fiction. Beau feuilleton initiatique, ce « petit » classique mérite assurément d’être vu en salles, séance tenante !

 

Les 3 films sont distribués en salles en deux parties :
Partie 1, volets 1 & 2 : My Childhood (1972) et My Ain Folk (1973), 48 et 55 minutes
Partie 2, troisième volet : My Way Home (1978), 72 minutes

 

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A propos de William LURSON

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