La dernière œuvre de Marina de Van est un beau trompe l’œil.. Avec l’histoire de Niamh, cette petite fille accompagnée à chacun de ses pas par la mort et la destruction, la cinéaste nous entraine vers les sentiers déjà empruntés du cinéma d’épouvante classique, celui peuplé de maisons hantées et d’enfants aux pouvoirs étranges, pour mieux camoufler toute la dimension intime et névrotique de ses obsessions, hantées par le Mal. Si le fantastique est le genre le plus propice à évoquer nos fantasmes et nos peurs, ils explosent ici littéralement, comme un exutoire. Dark Touch est à prendre ou à laisser. A nous d’accepter son excès, cette manière de se jeter tête baissée, sans peur du ridicule ou de le rejeter en bloc. Apprécier Dark Touch implique de se laisse porter, de s’ouvrir à des sensations physiques comme aux implications intellectuelles qu’elles trahissent. C’est donc également prendre le risque d’être induit en erreur et de passer de spectateur naïf prêt à être ébranlé par un film de genre, à une œuvre troublante et cathartique, dans laquelle une cinéaste conçoit toujours l’Art comme sa propre thérapie.
Pourtant les contours du genre semblaient si bien définis, laissant présager un hommage classique et distingué à l’épouvante anglo-saxonne. Que nenni, Marina De Van, loin d’être assagie, en emprunte les codes bien pour mieux le faire éclater de l’intérieur, le vampiriser de ses pensées les plus noires vers un sujet particulièrement pénible, horrible. La déférence aux classiques du genre est bien présente. On se prend ainsi à revenir faire un tour dans Le Village des Damnés, ou à reprendre contact avec les pouvoirs télékinésiques de la tragique Carrie non pas avec la sensation de pillage, mais d’affiliation, et de désir de sonder justement quel déchirement pouvaient dissimuler ces regards inquisiteurs et surnaturels. Peu cinéphile et peu intéressée par cette manie post-moderne de la citation ou du clin d’œil, en s’appropriant cet inconscient collectif et le faisant passer par le prisme de son moi tourmenté.
Dark Touch, avec son mélange de scènes imposées et de fureur intime fait passer son œuvre apparemment la plus grand public vers un voyage plus éprouvant que prévu, visuellement et psychologiquement, glissant rapidement des délices délicats dignes d’une ghost story anglo-saxonne à l’histoire la plus tragiquement sordide. Et l’on suit la progression mentale de Niamh, gravitant vers la connaissance d’elle-même, vers ses secrets refoulés et se libérant dans le chaos. Peu importe que Marina De Van évente assez rapidement son suspense et ses effets de surprise et que l’on devine tout assez rapidement. Car Dark Touch, est bien plus une tragédie qui utilise le fantastique qu’un pur film d’épouvante – bien qu’épouvantable, il le soit, mais pas forcément dans le sens attendu. Cette horreur graphique, lors de séquences particulièrement violentes tendent le miroir d’un cataclysme beaucoup plus cérébral qui exploserait enfin, lorsque le fantasme se réalise. La force de Dark Touch est celle du va-et-vient : va-et-vient entre cette vision de pureté enfantine et ce cheminement vers le mal, va-et-vient du film des stéréotypes du genre vers l’illustration de réalités atroces. Aux peurs enfantines des monstres cachés sous le lit, Marina De Van répond l’horreur d’une enfance saccagée par des adultes. On comprendra que Dark Touch n’est par conséquent pas un film aimable lorsqu’elle s’emploie en quelque sorte à suivre la chute d’un ange, passé de martyr à celui d’exterminateur.
Le cinéma qui s’empare des corps et les malmène est indissociable de celui qui met en scène des esprits torturés. On pourrait trouver ridicule cette invasion hystérique, presque zulawskienne, cette propension à matérialiser le fantasme sans frein jusqu’au morbide le plus carnavalesque, à pousser Niamh dans les retranchements de la folie et du mal, nourrie à des pulsions de morts qui l’envahissent au point de faire corps avec elle. Dark Touch épouse tellement son point de vue qu’il en devient naïf, dans son agressivité même. Aveuglément les coupables doivent être châtiés. Marina De Van laisse en quelque sorte se matérialiser les fantasmes de la petite fille sans ne lui poser aucun obstacle, comme si elle-même écrivait le scénario, de la destruction à l’auto destruction, laissant au spectateur une sensation parfaitement déstabilisante quelque part entre la candeur, la maladresse et le radicalisme de la démarche. Il y a presque une dimension régressive, infantile dans le cinéma de Marina de Van qui, à la possibilité de l’apaisement répond toujours par la fureur. C’est pourtant tout ce qui fait la singularité de son cinéma impulsif et primitif d’une sincérité désarmante.
Ce fantasme devenu chair, cette capacité de l’esprit à créer ses créatures monstrueuses, cette matérialisation de la haine en être vivant a quelque chose de très cronenbergien et Dark Touch renvoie directement à The Brood, sur le fond comme sur l’atmosphère, dans cette capacité à traiter on ne peut plus frontalement d’un sujet bien réel (ici le sujet tabou des enfants maltraités, battus, voire violés) par le biais de la métaphore visuelle du genre, dans une mise en scène aussi discrète qu’efficace. Dark Touch n’est pas sans distiller un malaise proche de The Brood, révélant une conception du cinéma – comme une projection de psyché – et du monde proche du cinéaste canadien, le célèbre « I have to make the word be flesh » de Cronenberg pouvant en quelque sorte se transformer en « I have to make my pain be flesh » chez Marina De Van.
Le montage de son fidèle collaborateur Mike Fromentin se partageant entre la lenteur et le heurt traduit parfaitement la douleur de Niamh et rappelle celui de Dans ma peau ou Ne te retourne pas. Cette part de mystère, d’inconnu est également soutenue par la photographie bleutée de John Conroy par la belle partition mélancolique et anxiogène de Christophe Chassol qui en ajoute au malaise. La jeune actrice Missy Kitting se donne à son rôle, comme un alter-ego de la cinéaste, une porte parole débordée par la rage intérieure. On se souvient de ce livre incandescent qu’était « Stéréoscopies »  qui s’ouvrait sur la descente aux enfers que fut le passage à Cannes de Ne te retourne pas, violemment attaquée par la presse, et dans lequel on sentait la marque indélébile que laisse cette épreuve, avant d’être l’élément déclencheur d’une réappropriation de soi. Quelque soit le sujet employé, son cinéma déchiré, à fleur de peau, reste pleinement l’image d’elle-même, avec tout ce que cela comporte de folie, de fissures, d’absence de maitrise de soi. A travers le regard de cette adolescente meurtrie, Marina De Van expulse ses propres terreurs.

 

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