Dominique Legrand – « La Passion Polanski »

La Passion Polanski de Dominique Legrand sort au cœur d’une nouvelle tempête médiatique autour de la venue du cinéaste à la cinémathèque française pour la rétrospective de son œuvre. De fait, on pourra penser que l’auteur, même s’il évoque de temps en temps les démêlés judiciaires de Polanski, son arrestation et son assignation à résidence en Suisse, jette un voile pudique sur la face obscure du réalisateur de Tess et Répulsion. « Vous n’avez sans doute pas assez payé et on vous le rend bien. Mais, et je ne cesse de me poser la question : où est le cinéma dans tout cela ? ». Voilà sans doute le passage du livre qui en exprime le mieux la teneur : ne pas se substituer aux tribunaux ni jouer les plats moralistes mais se plonger dans un univers cinématographique unique qui, dans ce cas précis, a marqué à jamais Legrand.

De nombreux ouvrages ont déjà été consacrés à Polanski qui a lui-même écrit sa propre autobiographie. L’angle d’attaque de Dominique Legrand, auteur notamment d’un essai récent sur Tobe Hooper, n’est pas celui de la traditionnelle monographie ni de l’analyse théorique. La Passion Polanski se présente sous la forme d’une longue lettre ouverte à un cinéaste qui compte parmi ceux que Legrand vénère le plus avec Kubrick et Boorman.

Ce parti-pris à l’avantage de nous offrir une visite toute personnelle d’une œuvre déjà beaucoup disséquée. Les films évoqués ne sont plus des objets froids que l’on scrute sous les grilles de lecture de l’analyse cinématographique mais acquièrent une résonance particulièrement intime. Dominique Legrand entreprend dans un premier temps de se souvenir de la manière dont il a découvert les films de Polanski : l’illumination provoquée par la découverte de Rosemary’s baby, l’oncle qui l’emmène voir Le Bal des vampires à 14, 15 ans, la sortie en cours d’anglais qui lui permit de découvrir Tess, les salles particulières où il vit peu à peu toute l’œuvre du cinéaste…

Même si l’on ne partage pas la même admiration pour l’œuvre du cinéaste (je dois confesser que je le trouve assez inégal, capable de rater des films – What ?, Carnage, Oliver Twist…– à côté de ses incontestables chefs-d’œuvre), tout cinéphile pourra se projeter dans l’évocation de Dominique Legrand : le dévolu jeté sur certains cinéastes, l’excitation provoquée par l’annonce d’un nouveau film, la manière dont les œuvres nous suivent et nous accompagnent durant notre existence… Au-delà du cas Polanski, cette lettre agit comme une madeleine de Proust et fait remonter des expériences de spectateur que tout un chacun a pu connaître.

La passion de l’auteur pour Polanski l’incitera, encore adolescent, à l’approcher alors qu’il jouait Amadeus au théâtre. Tout se passe comme si une simple dédicace pouvait alors décider d’une vocation et d’une vie. Si Dominique Legrand multiplie les petites anecdotes qui rendent sa lettre aussi touchante que familière, il ne se limite pas à ça. Par le biais de la confidence, il parvient à aborder en catimini les grands thèmes et obsessions qui parcourent le cinéma de Polanski : l’enfermement, les rapports dominants/dominés, la persécution et la paranoïa, le sexe et la violence, la judéité… Là encore, pas d’analyse universitaire au scalpel mais une approche intime qui pourrait se résumer ainsi : pourquoi tel détail d’un film de Polanski m’a touché (le caramel découpé par le père dans Le Pianiste) et qu’est-ce que ce détail dit du film en particulier et de l’œuvre en général.

Plus qu’à une dissection, c’est à un véritable cheminement à travers l’œuvre de Polanski que nous convie Dominique Legrand. Dans un même mouvement, il convoque les images fortes et marquantes des films, des éléments biographiques du cinéaste (son enfance dans le ghetto, les drames qui ont jalonné son existence…) et des réminiscences personnelles. D’aucuns pourront trouver dans cette lettre une certaine complaisance voire de l’aveuglement à ne parler que de cinéma, notamment lorsque Legrand revient sur l’arrestation de Polanski et cite Kafka : « On avait sûrement calomnié Joseph K…car, sans avoir rien fait de mal il fut arrêté un matin ».

Mais encore une fois, le procès à charge (dans le cadre d’un livre sur le cinéma) n’aurait pas eu grand intérêt et cette lettre est avant tout un témoignage de reconnaissance. Parce que c’est aussi en se nourrissant des œuvres des autres qu’on décide de créer à son tour. Parce que les images de Polanski l’ont irrémédiablement marqué et qu’ « elles m’encouragent à poursuivre le travail d’écriture que j’ai entrepris lorsqu’enfant, je me suis assis à un bureau pour écrire ma première nouvelle. Alors, j’ai décidé, moi aussi, que ma vie serait faite d’imagination et de création, car le monde qu’on me proposait ne me suffisait pas. » .

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La Passion Polanski (2017) de Dominique Legrand

Marest éditeur

ISBN : 979-10-96535-07-1

141 pages – 12 €

Sortie : novembre 2017

 

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A propos de Vincent ROUSSEL

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