Kjell Grede – « Hugo et Joséphine »

Bijou d’intelligence et de poésie, Hugo et Joséphine du suédois Kjell Grede, chronique de deux enfants de six ans dans un petit hameau suédois, ressort en salles 48 ans après sa projection au Festival de Cannes en 1968. Méconnue de la plupart des cinéphiles, cette ode à l‘enfance, conçue comme une étude musicale, sait déjouer les pièges du genre lénifiant ou larmoyant, en filmant à hauteur et cœur d’enfant, un cœur ivre de palpiter et d’aimer, laissant sur son sillage une évidente allégresse et une vibrante mélancolie. Beau.

Si Hugo et Joséphine s’inscrit dans la filiation de Jeux interdits de René Clément, la dimension mystique déborde ici largement le cadre de deux enfants esseulés dans un monde adulte hermétique, sourd et aveugle à leurs facéties pour exister. Grâce à une alternance vertigineuse de scènes inondées de pluie, de lumière et de trouvailles insolites – entre une machine à éplucher les pommes de terre et un kaléidoscope de fortune – Kjell Grede fait surtout preuve d’une maîtrise du cadre, de l’exploitation des grands espaces et du rythme pour enchâsser le monde de l’enfance à celui de l’âge adulte, et singulariser ainsi avec pudeur tous ses personnages.

photo Hugo et Josephine 1

C’est que pour Kjell Grede, l’enfance ignore la désuétude des choses, elle est grave et profonde dans son insouciance, et elle donne toujours sens à ce qui lui est donné. Dans une succession de gros plans d’une beauté inouïe et de plans fixes où affleurent fragilité et sensualité, Hugo et Joséphine suspend le temps parce qu’un ami à aimer, un vieillard à coiffer, un père à attendre est tout aussi primordial et essentiel que le sable doux à toucher, la flaque d’eau à éclabousser : le temps de l’enfance est celui de l’éternité qui s’éternise, celui où l’on a tout loisir pour éprouver le silence, l’ennui, la peur et la solitude à surmonter.

C’est l’été, car il fait toujours été pour les enfants. Joséphine s’ennuie dans cette trop grande maison où jamais elle ne croise son pasteur de père dont elle n’entend que la voix austère et où, pour attirer l’attention d’une mère rangée, elle ne peut que dérober son escarpin et sauter à cloche pied, avant de tenter d’attirer le nouveau jardinier pour en vain s’en aller nus pieds, pour de vrai, sa grosse valise à la main. C’est aussi l’été pour Hugo qui a des préoccupations bien plus importantes et a fort à faire dans la forêt car il doit se constituer un trésor de pierres, bâtons et trolls en tous genres pour aménager sa vie de petit d’homme, tel Robinson Crusoe. Sur le chemin de l’école, Joséphine rencontre Hugo et Hugo rencontre Joséphine. Hugo est très fort et fort poli, Joséphine a désormais un ami. Un seul a rencontré une seule et irradient ensemble ce petit hameau qui reste coi sur leur passage.

photo Hugo et Josephine 6

Valse, ritournelle, où l’on apprend qu’Hugo est le neveu du jardinier et que le jardinier fut jadis l’amoureux de la mère de Joséphine, une mère très rangée. Valse, ritournelle sur The Battle Hymn of the Republic où l’on apprend que le père d’Hugo est en prison pour avoir déserté. Intermède. Valse de Brahms où Joséphine apprend dans les bras d’un jardinier que l’on s’invente toujours à défaut son Dieu-le père ici-bas. Scène d’une époustouflante grâce et d’une sensualité chaste qui tinte comme la berceuse qui avait tant manqué à Joséphine, et comme une promesse enfin tenue.

Hugo, Joséphine et le jardinier, et voici une famille réinventée. C’est sous forme de métaphore racontée par le jardinier que Hugo et Joséphine brille d’une intelligence rare et livre un message sombre et lumineux, non conformiste, distillé par tous ces moments de bonheur chapardés en aparté : le sort des enfants qui refusent la normalité des choses est celui d’être plus lucides, plus seuls sans doute, mais plus forts aussi que tous les autres.

photo Hugo et Josephine 3

Derrière l’essuie larmes d’un jardinier que l’enfance n’a pas quitté, dans une scène finale d’un onirisme féérique, Hugo et Joséphine sonne comme un vibrant plaidoyer à l’insoumission, un hymne à la liberté et au bonheur contre tous les adultes qui ont démissionné.

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A propos de Laura TUFFERY

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