Jim Jarmusch – « Gimme Danger »

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C’était le choc des titans, le combat du siècle : Jim Jarmusch, cinéaste biberonné au rock dont le sang noir coule de roll et de folk, et les Stooges, pas très loin d’être le plus grand groupe de tous les temps.

« Gimme Danger », ou l’histoire des Stooges par les Stooges (Danny Fields mis à part, qui les découvre un soir en allant voir les MC5 et les fait tous signer le lendemain).

Celle de gamins un peu paumés, un peu loosers qui, puisant dans le fin fond des usines et leurs « mega clang », vont inventer, le temps de trois albums, un son unique qui ouvrira la voie à tout le mouvement punk et garage : une guitare agressive, distort à fond les ballons, accompagnant une voix folle le temps de morceaux complètement survoltés ou salement rampants. Ca sent la sueur et le slip sale, la débauche et le désir (moi aussi, je veux être ton chien).

Des « Psychedelic Stooges » à la reformation in extremis au cœur des années 2000, l’histoire de héros malgré eux, donnant une énergie tellement folle qu’ils finissent par se carboniser tous seuls, à coups de shows suicidaires et de défonce à l’héroïne, quand ils ne finissent pas rangés des voitures électronicien chez Sony, va savoir ce qui est pire. Un combat de fureur, de sueur, dans le cœur pourri du Michigan.

« Gimme Danger », c’est l’histoire nécessaire que l’on aurait aimé voir, si Jarmusch s’était un peu donné la peine.

  • Loose.
LOS ANGELES - MAY 23: Iggy the Stooges (L-R Dave Alexander, Iggy Pop in front, Scott Asheton in back and Ron Asheton) pose for a portrait at Elektra Sound Recorders while making their second album 'Fun House' on May 23, 1970 in Los Angeles, California. (Photo by Ed Caraeff/Getty Images)

LOS ANGELES – MAY 23: Iggy the Stooges (L-R Dave Alexander, Iggy Pop in front, Scott Asheton in back and Ron Asheton) pose for a portrait at Elektra Sound Recorders while making their second album ‘Fun House’ on May 23, 1970 in Los Angeles, California. (Photo by Ed Caraeff/Getty Images)

Car on pourrait presque pardonner l’académisme global de l’ensemble et ses errements (la grande séquence qui cherche à montrer l’importance du groupe par un panel de reprises, toutes plus fades les unes que les autres), chercher à comprendre la difficulté à faire un documentaire sur un groupe alors qu’il est déjà trop tard (les archives des deux frangins Asheton, présence douloureuse de Scott à la clef), etc.

Accepter son refus un peu suicidaire de ne jamais s’écarter des survivants, de ne jamais les replacer en contexte ou chercher à retraverser les lieux pour ne pas lui donner l’impression d’une fresque bio-hagiographique, quand bien même ne jamais voir Ann Harbor ou Detroit semble relever du manque ou de la gageure.

Questionner, enfin, l’enjeu de faire exister un film pour un groupe dont les archives, notamment, video, se comptent sur les doigts d’une main de Django Reinhardt.

 

  • T.V. Eye

C’est sur cette question très précise que le cinéaste était attendu : « Gimme Danger est davantage un essai qu’un documentaire », dit-il en note d’intention. Comment combler le vide de représentation ? Comment créer une narration à partir de peu ?

Le problème, c’est que cet écueil, ce défi de mise en scène, Jarmusch le relève de la pire manière qu’il soit : en agitant très fort les bras pour faire oublier son absence de dispositif.

Faire feu de tout bois, de toute image, quitte à ne rien dire.

Des rails bien calibrés du rockumentaire façon TV (avec l’ensemble de ses qualités, notamment dans sa précision narrative), égrenant couverture, dos et vinyle d’albums, à l’illustration premier degré la plus bêtasse qu’il soit –« il était comme un chien renifleur »/images d’archives de chien renifleur de la police- qui a dû faire chauffer les banques d’images, on sent qu’il patauge à plein nez dans un désir d’images à tout crin, quand il ne s’y noie pas totalement, dans d’improbables séquences façon Beavis et Butthead en papier découpés pour illustrer la jeunesse paumée d’Iggy dans la caravane parentale.

  • Raw power.

Car il était pourtant là, le véritable diamant brut du projet : Jim Osterberg.

Corps et verbe, assis sur un improbable trône ou dans le fin fond de sa laverie, il est la flamme absolue, tout autant apaisé que totalement clairvoyant sur cette histoire : redistribuant les cartes, acceptant la volonté totalement communautaire des débuts et les apports de chacun au groupe, voire proprement génial quand il dynamite en trois phrases l’illusion bourgeoisement rebelle des hippies, ces faux bourgeois tout autant anti que dans le système : « I think I helped wipe out the sixties » [Et c’est peu dire que l’émergence d’un tel son conjointement à la gueule de bois d’Altamont n’est sans doute pas un hasard].

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Il faut le voir expliquer avoir arrêté d’espérer devenir batteur quand il en a eu marre de jouer en regardant un cul, accepter ses pulsions auto-destructrices comme s’esclaffer sur cet improbable projet qui voulait le voir devenir Peter Pan dans une comédie de Brodway, lui qui rêvait d’incarner Manson, ou se rappeler avec tendresse les moments où, regardant un célèbre show pour enfant, il retiendra l’adage « Ne m’ecrivez jamais de lettres de plus de 25 mots, les enfants ».

Bien entendu, le storytelling marche à plein, et sans doute la moitié de tout cela est-il romancé. Mais qu’importe, au contraire, tant qu’on a l’ivresse.

Malicieux, drôle et ironique : son histoire, sa voix, son conte auraient pu, face caméra, constituer à elles seules une ossature sublime à ce film pas inintéressant, mais si peu incarné qu’il ne parvient jamais vraiment à exister. Trop sage : No fun.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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