Après s’être parée des atours d’un animal à sang froid chez Lucio Fulci et fait preuve de piquant chez Sergio Martino, Anita Strindberg quitte le climat déjà torride qui sévit en méditerranée pour celui, plus tropical, de l’île d’Haïti. Dans la moiteur de Port-au-Prince, où règnent pauvreté galopante et croyances mystiques, l’attendent mygales, taureau égorgé et émasculé et le parfum de fleurs écarlates aux étranges vertus. La blonde suédoise y incarne Grace Wright, une jeune Etats-unienne qui débarque dans la capitale haïtienne avec son mari, Fred. Sur place, il retrouve un vieil ami, Williams, un médecin autour de qui s’accumulent de nombreux meurtres. Williams serait l’inventeur et le détenteur d’un curieux sérum qui suscite de bien nombreuses convoitises.

Avec son intrigue des plus communes, Tropique du cancer ne brille ni par son scénario truffé de trous ni par sa réalisation plus efficace qu’inspirée. Si certains passages s’avèrent particulièrement découpés, comme quelques meurtres plus créatifs que d’autres, la mise en scène de Eduardo Mulargia, assez inégale, manque de personnalité et de souffle. Une poursuite dans les rues de Port-au-Prince est filmée en longs plans fixes et l’utilisation de lents zooms avant et arrière ne suffisent pas à la dynamiser. Outre cette poussive course et sa réalisation dénuée d’une véritable incarnation, Tropique du cancer s’avère fascinant et, en plein âge d’or du giallo, particulièrement original.

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Ce film co-signé par Giampaolo Lomi et Edoardo Mulargia doit son étrangeté à son décor, la capitale d’un pays alors en pleine dictature, connu pour ses rites vaudou et la malédiction dont il semble être frappé tellement il subit catastrophe sur catastrophe. Port-au-Prince baigne le film d’une aura particulière, où le mysticisme se nourrit de social, où le fantastique se dispute au réel. D’ailleurs, les meilleures séquences du métrage tournent autour de ces rites vaudou ou de passages oniriques qui envoûtent autant l’héroïne que le spectateur. Filmés avec un réalisme saisissant, les rituels doivent peut-être plus à Giampaolo Lomi, qui vient du mondo, qu’à Edoardo Mulargia, artisan du cinéma de genre italien. L’alchimie opère cependant et ces passages s’inscrivent parfaitement, tout en le rehaussant, dans un scénario des plus linéaires.

Surtout, ils impliquent l’idée d’expiation, chacun des deux rituels du film s’achevant sur une mort violente. Cette tendance à l’abnégation caractérise le Docteur Williams, le personnage campé par Anthony Steffen, acteur brésilien et complice de Eduardo Mulargia, qui renonce à certaines expérimentations par philanthropie, ou Grace Wright qui repartira de Haïti avec un poids en moins. Pour elle, cette visite de Port-au-Prince afin de faire fi du passé se révèlera être un véritable chemin de croix. Un itinéraire durant lequel elle devra affronter ses appétits sensuels les plus enfouis car Tropique du cancer est aussi une œuvre sur le désir. Désir d’ailleurs, désir de richesse, mais aussi désir des corps.

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Parfois ouvertement racoleur, avec des gros plans sur des fesses ou sur de jeunes éphébes nus, Tropique du cancer s’avère pourtant progressiste notamment à travers une galerie de personnages haut en couleurs. En plus du personnage irrésistiblement attiré par un jeune Haïtien et joué par Anita Strindberg, Alfio Nicolosi interprète un riche homosexuel aux tendances pédophiles et aux allures d’empereur romain décadent nourri au Banania. Bien avant Vers le sud, de Laurent Cantet, dans lequel des femmes âgées de la cinquantaine se rendent à Port-au-Prince pour se payer de jeunes prostitués, Tropique du cancer dénonce le tourisme sexuel et le colonialisme. Fascination des corps noirs, besoin de se sentir admiré et déifié, comme le montre une Anita Strindberg adorée dans un long couloir rouge, sont autant de motifs qui participent à cette dénonciation d’un système où les plus pauvres restent encore les jouets des plus riches. Cet indéniable côté progressiste est dû à Anthony Steffen, co-auteur du scénario sous le nom de Antonio de Teffé, et à sa sensibilité plutôt marquée à gauche, le futur comédien ayant rejoint dès l’âge de 14 ans les partisans anti-nazis durant la Seconde Guerre mondiale.

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Seulement, si ces femmes et hommes blancs restent fascinés par les corps noirs, l’objet de leurs fantasmes, quant à lui, rêve d’autres horizons. Ainsi, le jeune homme qui attire le regard de Grace Wright la regarde partir à l’aéroport, comme si son seul espoir d’une vie meilleure s’envolait, littéralement.

Parce qu’il met en scène des rituels, Tropique du cancer reste avant tout un giallo qui reste attaché à la tradition du genre dont il affiche la couleur. Il faut reconnaître que mettre des gants de cuir noir sous un climat aussi tropical afin de commettre ses méfaits ne doit pas être des plus confortables. Cela expliquerait, à la décharge du tueur, les quelques meurtres commis hors-champ au début du film, les codes et le maniérisme qui font la spécificité du genre n’apparaissant qu’au bout de 45min. Ajouté à cet aspect craspec qui semble issu d’un autre film, cela accentue l’étrangeté de ce giallo atypique réalisé sous l’œil malveillant du Baron Samedi, qui tire son chapeau-claque aux réalisateurs.

Le Blu-ray/DVD : Malgré quelques plans présentant de petits défauts, la restauration du film reste splendide. La copie est présentée avec deux pistes sonores : l’horrible doublage français et la version originale, beaucoup plus agréable à l’oreille.

La quantité n’étant pas synonyme de qualité, le gros problème de cette édition reste une galette remplie à ras bord pouvant ainsi entraîner quelques bugs sur certains lecteurs Blu-ray. Les documentaires Mort à Haïti et Voyage hallucinatoire permettent de se faire une idée précise de qui, entre Giampaolo Lomi et Edoardo Mulargia, est vraiment l’auteur du film. Dans Mort à Haïti, Giampaolo Lomi fait preuve d’un ego à toute épreuve et ramène sans cesse la couverture à lui. De plus, le personnage se montre assez douteux et complaisant avec François Duvalier, alias Papa Doc, et Jean-Claude Duvalier, alias Baby Doc, dictateurs successivement en place à Haïti de 1957 à 1971 et de 1971 à 1986. Avec ses différents intervenants en plus de Edoardo Mulargia, Voyage hallucinatoire se révèle bien plus intéressant et exhaustif quant à la production du film.

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Le reste des bonus se révèlent malheureusement peu intéressants. Quelques bandes annonces d’autres films édités par Le Chat qui fume côtoient ce bonus gadget qu’est la version du film en qualité VHS. Dans le module 3 gialli, Fathi Beddiar accumule les lieux communs pendant 25 longues minutes alors que Francis Barbier, dans le segment intitulé Giallo Caldo, énonce des contre-sens sur le film tout en étant carrément hors-sujet lorsqu’il n’est pas loin de taxer Clint Eastwood de suprématiste blanc. Pourtant, la filmographie de l’acteur/réalisateur, plus particulièrement Josey Wales Hors-la-loi ou le plus récent Sully, films dans lesquels il dépeint une nation états-unienne multi-culturelle assez éloignée de celle de Donald Trump, démontre bien le contraire.

Tropique du cancer
(Italie – 1972 – 95min)
Titre original : Al tropico del cancro
Réalisation : Giampaolo Lomi, Edoardo Mulargia
Scénario : Giampaolo Lomi, Edoardo Mulargia, Antonio de Teffé
Direction de la photographie : Marcello Masciocchi
Montage : Ceesare Bianchini
Musique : Piero Umiliani
Interprètes : Anthony Steffen, Anita Strindberg, Gabriele Tinti, Umberto Raho, Stelio Candelli…
Disponible chez Le Chat qui fume.

 

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