Zhang Lu – « Gyeongju » (Compétition – Festival des 3 Continents)

Festival des 3 continents de Nantes 2014 – compétition

 (voir la news – le festival dure jusqu’au 2 décembre

Zhang Lu représente le cas atypique d’un cinéaste d’origine chinoise positionné sur l’espace frontalier entre les deux Corées et la Chine. Sa filmographie justement s’intéresse à ces thématiques sino-coréennes et on a déjà pu voir distribués en France Desert Dream et La Rivière Tumen. Gyeongju, son dernier, est une languissante ballade qui évoque le plus souvent (et parfois maladroitement) le Hong Sang-soo première période, pour verser ensuite plus franchement dans une atmosphère fantastique qui lui sied mieux.

 Les relations entre la Chine et la Corée du sud sont intégrées à l’intrigue de Gyeongju de manière assez anecdotique à priori, puisqu’elles semblent surtout basées sur le fait que le héros soit un professeur d’université vivant à Pékin où il a épousé une chinoise, de retour au pays pour des funérailles. Mais le film de Zhang Lu se permet des références quand aux liens historiques plus subtiles, comme le fait de relier le personnage féminin principal Gong Yoon-hee à la lignée de Confucius, eu au mouvement intellectuel dont la ville Gyongju (ancienne capitale du royaume Silla dans l’histoire de la Corée) fut par ailleurs une place forte intellectuellement dans son histoire. Le scénario fait aussi se provoquer quelques tensions lorsque le professeur Choi parle un peu légèrement de sa spécialité géopolitique pan-asiatique… Un passage évoque évoque par ailleurs les invasions japonaises de la cité, la sensibilité transfrontalière du film demeurant finalement pregnante, distillée par une série de sous-couches (à laquelle s’ajoutera l’écho de la chanson du coup de téléphone final).

Au-delà, c’est un peu difficile de cerner ce Gyeongju : le cinéaste met en relief la virée touristique un peu étrange de son héros sur des sites historiques avec des apparats qui rappelleront fortement plusieurs films d’Hong Sang-soo à ce niveau…. ce dernier ayant notamment tourné sur ces lieux la dernière partie de Turning Gate, auquel il est difficile de ne pas penser, la caractérisation du personnage principal enfonçant en prime le clou. Zhang Lu semble tout particulièrement se focaliser sur les tumulus, sortes de petites collines, tombes royales de l’ancien royaume Silla… « Impossible de se déplacer ici sans voir les tombes » dit Gong Yoon-hee, comme les héros de Conte de Cinéma évoquaient la Séoul Tower… Bien évidemment la pesanteur mortuaire que prend le film en rajoute une couche.

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Zhang Lu a indéniablement un oeil à la caméra, il sait installer une certaine atmosphère d’étrangeté, que ça soit pour figurer une photo en train d’être prise sur un portable, ou orchestrer une virée nocturne sur ces fameux tumulus (on se retrouve un peu entre Bunuel et le Michael Mann de Révélations)… mais trop souvent il se contente de longs panoramiques sensés prendre au piège ses héros, qui semblent là encore très emprunts du style des Hong Sang-soo d’il y a dix ans. De la même manière, beaucoup de séquences attablées semblent focalisées sur cette idée d’éviter le champs contrechamps, chère à HSS : le seul champ contrechamps majeur s’apparentant plutôt à deux regards caméras oniriques, peut-être un poil clin d’oeil à Ozu. En même temps difficile de ne pas reconnaitre que Zhang Lu fait singulièrement durer ses plans, et y instaure un climat propre, même lorsqu’ils sont référentiels : tous les passages au salon de thé sont comme suspendus et finissent par devenir entêtants, avec parfois des compositions assez larges, des tentatives de chorégraphies poétiques risquées mais gagnantes (la photographie à 360°)…

Difficile de savoir si le travail de Zhang Lu souffre à se dépêtrer en permanence d’influences diverses, mais passé le burlesque quotidien décalé, son spleen un peu convenu et la mise en avant de la crise libidineuse du personnage principal, englué dans ses souvenirs, Gyeongju finit par devenir plus intéressant quand il assume son aspect funèbre et fataliste, quand bien même il ne révolutionne rien non plus. Le professeur Choi est à la recherche d’une trace vitaliste dans son passé, notamment via un moment de partage et de leçon de son mentor autour d’un tableau grivois, secret du film…  mais il croise essentiellement la mort (un suicide, la découverte d’un avortement, et finalement une présence à ses trousses…). Gong Yoon-hee, sa rencontre impromptue, cherche quand à elle à core un deuil en se focalisant sur un détail de l’ anatomie de Choi, et dans ses marches semble attirer le héros vers sa perte comme un ange surréaliste sorti d’un livre de Murakami.

Finalement, Zhang Lu se distingue surtout avec une scène d’amour non consommée dans la dernière partie, et une plongée de plus en plus franche de la mise en scène dans un environnement déréglé avec élégance, où souvenirs, rêveries et fatalité ne font plus qu’un. Le point fort du film est sans conteste l’actrice Sin Min-ah, qui dégage ici une beauté étrange parfaitement en lien avec l’aspect tout à la fois spectral et chaleureux que prend progressivement le ton du long métrage.

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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