Paul Vecchiali – entretien 2 : « fantasmagorie et Jeu »

À partir de « À Vot’ bon cœur », Paul Vecchiali inaugure une série de films, sous la bannière « Antidogma », un anti mot d’ordre à entendre comme un acte de résistance créative : continuer à faire du cinéma coûte que coûte, et surtout, en toute liberté, en s’autofinançant. Les films sont souvent réalisés dans les environs de la résidence du cinéaste, dans le Var, avec une petite équipe de fidèles collaborateurs (le chef opérateur Philippe Bottiglione, Jean-François Chevalier ou Francis Bonfanti au son, Roland Vincent pour les musiques…), en numérique ; quand ils ne sont pas tournés directement chez lui, dans la « Villa Mayerling » – un nom de baptême enchanteur donné en hommage à Danielle Darrieux, la muse du cinéaste, et au film d’Anatole Litvak, l’un des premiers émois cinéphiles du réalisateur.

Une pentalogie inédite en salles, est réalisée de 2006 à 2011, de « Humeurs et Rumeurs » jusqu’à « Retour à Mayerling » ; certains volets sont diffusés sur la télévision câblée. Autour de cette série, laboratoire modeste d’une œuvre en cours de réinvention, et autocélébration ludique, Vecchiali réalise quelques opus plus autonomes : « Nuits Blanches… » est bien sûr l’un d’eux, mais il y a aussi le quasi diptyque, « +SI@ff » / « Bareback, ou la guerre des sens », qui se prolonge souterrainement jusqu’à l’intriguant « Faux Accords » ; un inédit, développé en même temps, quasiment, que les « Nuits Blanches… ».

Dans ces derniers films, sans vouloir les cantonner au genre du cinéma gay, Vecchiali traite explicitement des relations homosexuelles, allant jusqu’à la représentation des scènes de sexe (« Bareback… » évidemment), mais toujours sous l’angle d’un imaginaire amoureux et affectif, avec sa part de virtualité très directe (les rencontres et les ratés à l’heure d’internet) ou mentale, son goût non voilé pour la comédie et la dérision. En ce sens, les fantasmagories de « Nuits Blanches… » et « Faux Accords » semblent se répondre tacitement, avec leurs spectres tragiques, leurs échanges irréels. En filigrane, courent aussi quelques préoccupations chères au réalisateur : le deuil amoureux, l’ambivalence des relations, la duplicité des êtres, l’ambigüité des mots…

Entre-temps, Paul Vecchiali sera devenu l’intercesseur, et parfois l’acteur principal de cet imaginaire déployé dans la réalité.

J’ai utilisé ce vieux, qui est présent dans les « Nuits Blanches », à plusieurs titres. Il est là pour reprendre les dialogues du « sous-sol », et en même temps, puisque c’est moi qui le joue, c’est comme un relai de course, comme si je disais à Pascal (…) : « je te passe le bâton ; c’est toi qui fait le film maintenant ». (… ) Il y a un jeu créature-créateur qui est classique dans les contes.

Je trouve que quand je joue la comédie, avec les acteurs, et les techniciens autour, c’est comme si je descendais de mon « piédestal ». Je ne suis jamais vraiment « sur un piédestal » mais, insensiblement, les gens le sentent comme ça sur le plateau. Le réalisateur, c’est le patron. Tandis que là, on joue, comme on joue dans une cours de récréation, tous ensembles.

Partie 2 : Fantasmagorie et Jeu

la pentalogie des années 2000 ; ses faux accords

Concernant l’adaptation de romans, en l’occurrence de Dostoïevski pour « Nuits Blanches… », c’est quelque chose que vous avez peu pratiqué au cours de votre filmographie…

Non. C’est simplement parce que ça n’a jamais abouti. Il y a eu 60 projets non réalisés en tout. Il y a avait l’adaptation « Je veux me divertir » de Pierre Michon, sur les dernières années de la vie de Wateau, qui devait être une superproduction ; j’ai adapté successivement « Adelaïde » et « Mademoiselle Irnois » de Gobineau, un auteur que j’adore ; et également « Monsieur Vénus » de Rachilde, etc, etc. Il y a une malédiction sur les adaptations. Les seules qui ont pu se faire, c’est pour la télé.

Dans le dernier film, ce qui a beaucoup plus, c’était la légèreté de ton apparente. Est-ce que c’était une conséquence de l’adaptation, qui vous a donné plus de liberté dans la mise en scène ? Où est-ce que pour vous, ça ne changeait rien, c’était le même travail que pour un sujet original ?

Non, parce que je connaissais très bien l’œuvre de Dostoïevski, mais je n’avais jamais lu les « Nuits Blanches ». Et il se trouve que sur Ciné+, j’ai vu coup sur coup « Quatre Nuits d’un rêveur » et « Le Note Bianche » de Visconti, que j’ai adorés. Donc, ça m’a entraîné à acheter la nouvelle ; et dans l’édition de poche, elle était suivie par « Les Carnets du sous-sol ». Je lis « Nuits Blanches » que je trouve bien, et me dis bravo, ils ont bien travaillé tous les deux. Puis j’enchaîne sur « Les Carnets du sous-sol » et là, rétrospectivement, je ne comprends pas la même chose qu’eux. À partir de là, je me suis senti autorisé à faire ma propre adaptation, en travaillant un peu sur « Les Carnets du sous-sol », sur « l’Idiot », sur « Souvenir de la maison des morts », et un peu sur « Crimes et Châtiments ». Et j’ai appelé Fédor Pascal Cervo parce que mon intention secrète était de faire un portrait de Dostoïevski, masochiste.

Vous avez donc trouvé une porte d’entrée, qui vous a permis de vous glisser entre Bresson et Visconti…

…c’est ça. Et le prologue est entièrement tiré des « Carnets du sous-sol ». J’ai utilisé ce vieux, qui est présent dans les « Nuits Blanches », à plusieurs titres. Il est là pour reprendre les dialogues du « sous-sol », et en même temps, puisque c’est moi qui le joue, c’est comme un relai de course, comme si je disais à Pascal/Fédor : « je te passe le bâton ; c’est toi qui fait le film maintenant ».

et à partir de là, il vous pousse dehors…

…c’est comme elle, elle le pousse dehors ensuite. Il y a un jeu créature-créateur qui est classique dans les contes. C’est pour cela que j’ai fait le film, absolument pas pour me mesurer à Bresson !

Votre apparition dans le dernier film renvoie à toutes celles, de vous, qui ponctuent vos autres films. C’est un procédé qu’on a vu chez Hitchcock, Truffaut, mais j’ai l’impression que c’est un peu différent avec vous car ça ne s’arrête pas au clin d’œil. C’est à la fois un préambule et presque une adresse au spectateur (…)

Oui, dans « Nuits Blanches » !

1_Once

Paul Vecchiali dans « Once More » (1987) © Shellac 2015

Mais je pense aussi à l’ouverture de « Once More », où il me semble que vous apparaissiez très directement (…)

absolument, et je suis le personnage comme si j’allais le vampiriser. C’est un peu analogue, mais aujourd’hui, il y a autre chose qui se passe : j’ai fini par me trouver bon comédien ! Je ne parle pas de mon rôle dans les « Nuits Blanches », où il n’y a que quatre répliques, c’est quasiment rien, mais des autres films récents, dans lesquels j’ai un rôle, plus conséquent. Je trouve que quand je joue la comédie, avec les acteurs, et les techniciens autour, c’est comme si je descendais de mon « piédestal ». Je ne suis jamais vraiment « sur un piédestal » mais, insensiblement, les gens le sentent comme ça sur le plateau. Le réalisateur, c’est le patron. Tandis que là, on joue, comme on le fait dans une cours de récréation, tous ensembles. Et je me sens vachement à l’aise. Au début, je n’osais pas. Quand j’ai fait « A Vot’ bon Cœur », je me suis trouvé vraiment mauvais. Mais Godard m’a dit : « arrêtez vos conneries, ce film est un miracle, il ne faut rien toucher, et continuer ». Après, j’ai un peu joué sans me sentir vraiment à l’aise. À moment donné, il y a eu un déclic. C’était durant « Et Tremble d’être heureux », l’un de mes films inédits en salles (…). Là, je me suis dit que ça commençait à fonctionner. Dans « Retour à Mayerling », ça explose. Ensuite, j’ai fait « Faux Accords », avec Pascal (Cervo) et Julien Lucq, qui était mon assistant, et qui jouera aussi dans « C’est l’amour ». Il a été aussi mon comédien dans « La Fille du Puisatier », une adaptation que j’ai montée pour le théâtre. C’est à cette occasion que je l’ai rencontré, et c’est un garçon extraordinaire, d’une gentillesse, d’une loyauté… Je ne peux travailler qu’avec des gens comme ça de toute façon. Il a tenu le rôle principal des « Gens d’en bas » (2010) qui précède « Retour à Mayerling » (2011) dans la pentalogie.

Après, j’ai fait « Faux Accords » (2013), un film assez court d’une heure dix, sur les sites de « chat » gays. Je tiens le rôle principal, et je n’y dis pas un mot, de tout le film, rien ! Vous le verrez un jour, il devrait sortir à la fin de l’année. Il y a quelque chose d’un peu fantasmagorique dans ce film. Le personnage que j’interprète vient de perdre son compagnon. Il regarde la télé au début du film. On y voit des images d’incinération, des rushes que j’ai repris d’un de mes courts-métrages intitulé « La terre aux Vivants » (1994). La caméra descend et s’arrête sur l’urne. On comprend. C’est la journée de cet homme, qui reste comme ça, sans exprimer ni plus ni moins d’affection. Il sort, salue les gens qu’il rencontre. On l’embrasse, on tente de le consoler, mais il refuse le dialogue. Quand il s’en va, il rejoint le bord du cadre, et la mer envahit le champ ; Pascal Cervo apparaît. Il se rend sur le bord de la mer, et face à lui, un peu au loin, il y a un homme, c’est Julien Lucq… Il rentre chez lui, fait la cuisine, met les deux couverts, et sert. Il regarde cette nourriture inutile dans l’autre assiette, et va sur son ordinateur. En nettoyant le disque, il s’aperçoit que son compagnon avait entamé des relations virtuelles avec un autre homme. Il édite les feuillets de leurs échanges avant de passer dans le jardin, pour jouer au scrabble, seul, comme s’il avait toujours son ami face à lui. Il renverse tout, et à ce moment, la mer envahit le champ à nouveau. Pascal Cervo apparaît et dit les phrases du correspondant virtuel ; et la voix du mort arrive, elle lui répond comme dans les mails. Au fur et à mesure que je parcours les feuillets dans le jardin, on a toute une reconstruction de cette relation, virtuelle, qui a eu lieu entre mon compagnon, et le correspondant ; celui-ci a deux visages, suivant ce qu’il dit, suivant son comportement… Il y a aussi une progression lente de cette relation. Le correspondant interprète mal la position du compagnon. Ce dernier l’a aidé ; c’était, semble-t-il, un homme très généreux.

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Paul Vecchiali dans « Faux Accords » (2009) © Dialectik, Pom Films

(Nota : Paul Vecchiali révèle le dénouement du film. Si vous ne voulez pas trop en savoir, vous pouvez sauter ce paragraphe, et passer au suivant)

Le correspondant était marié avec des enfants, avait découvert son homosexualité, et était tombé dans une relation d’amour fou, sadomasochiste, avec un autre homme. Grâce au soutien du compagnon, le correspondant entame une nouvelle relation plus heureuse. Il se met à revivre, et s’écarte de lui. Le compagnon croyait qu’il y avait du désir entre eux, mais il ne faisait que tenir la place du père. Il a une espèce de chagrin épouvantable. Il est mort mais on ne saura pas dans quelles circonstances. Sauf que Malik qui joue l’homme de ménage (Malik Saad, le compagnon de Paul Vecchiali, régisseur de ses films), me dit off : « je n’ai pas refait le lit. J’ai pensé que vous auriez aimé coucher dans une autre chambre, mais j’ai tout de même nettoyé le sang ». Ensuite, je vais refaire le lit, je prends l’urne, me rends sur la terrasse ; je me mets torse nu, et me verse les cendres sur moi. Le film est fini…

Je l’ai fait comme ça par amusement, car j’ai senti qu’il y avait de petites choses, à force de chater, à droite, à gauche. Un peu comme dans « Once More », j’ai eu envie de traiter ce problème, puisque mes seules interventions sont off – le off devient un élément important dans mes derniers films – ; je dis également : « je dédis ce film à… ». Je l’ai fait, sans penser à plus, un peu pour Pascal, Julien, et moi-même. On était contents, ça s’arrêtait là. Et un jour, une amie me rend visite, je lui montre le film, et elle part en sanglots. Merde, je réalise que le film à un impact ! Ensuite, une autre amie vient, une autre encore, et à chaque fois, les gens repartent bouleversés, complètement. Je me dis qu’il faut que j’essaie de le sortir, mais c’est difficile. Le film est pris au FID de Marseille, mais il n’est pas primé. À la sortie de la cérémonie, le président du jury, Tsaï Ming-Liang, le grand réalisateur taïwanais, est quand même venu vers nous. Il avait les larmes aux yeux, et m’a pris les deux mains, sans un mot. Jean-Pierre Rehm, qui fait la sélection pour le FID, a préféré prendre « Faux Accords » au lieu de « Nuits Blanches… ». Moi, je m’en foutais puisqu’on a été sélectionné à Locarno. Mais bon, c’est dire qu’il y a vraiment quelque chose avec ce film. Normalement, il devrait sortir avec « Les Gens d’en bas » et « Retour à Mayerling », en fin d’année au cinéma le Grand Action (à Paris). J’espère qu’ils vont le confirmer… Moi, j’aimerais beaucoup.

c’est un pan de votre filmographie, qu’en effet, on ne connaît pas du tout…

Si, « Humeurs et Rumeurs » et « …Et tremble d’être heureux », les deux premiers volets de la pentalogie, sont passés sur Ciné+. Le troisième, c’est « Être ou ne pas être », qui est sur la condition des intermittents que j’aime un peu moins, et après il y a « Les Gens d’en bas » et « Retour à Mayerling », et ces deux films-là, ils tapent ! Après, vous savez… l’histoire s’écrira d’elle-même !

à suivre

En tête d’article : Françoise Lebrun, Paul Vecchiali et Eric Rozier dans « +Si@ff » (2006) © JLA Audiovisuel, Paul Vecchiali

propos recueillis par William Lurson
de grands mercis à Paul Vecchiali ; Malik Saad et Emmanuel Vernières.

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A propos de William LURSON

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