Cyril Barbançon, Andy Byatt et Jacqueline Farmer – « Ouragan »

Il existe une nouvelle de Bradbury, sublime, où un explorateur, terrorisé et paranoïaque, appelle tout au long d’une soirée son meilleur ami, convaincu qu’il est poursuivi par un vent qu’il a un jour rencontré et qui demande aujourd’hui vengeance, gonflant derrière les faibles carreaux de sa maison. A chaque appel, il sourd un peu plus, ne laissant derrière lui finalement que le bruit blanc et le silence.

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  • Le vent dont vous êtes le héros

De la victime au tueur, c’est cette puissance animiste, le Dieu Vent, que met en scène le documentaire de Cyril Barbançon, Andy Byatt et Jacqueline Farmer, Ouragan, en salles ce mercredi.

Cinq années de tournage à la poursuite de l’insaisissable afin de reconstituer de manière fictionnalisée la vie de l’Ouragan « Lucy », de  sa naissance, simple brise au-dessus du Sahara, jusqu’aux Caraïbes où, gonflé de la colère des océans, il détruit hommes, végétations et animaux.

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Dans la veine des documentaires tel MicrocosmosLe peuple migrateur ou le plus récent Océans, oscillant entre puissance narrative et coup de force technique, c’est l’histoire de ce dieu étrange, filmé à hauteur d’Eole et en 3D que nous propose de suivre cette expérience visuelle assez éblouissante dans la forme.

Subjuguant par sa beauté graphique, exploitant magnifiquement le relief par un travail de ligne de fuites et de profondeur, multipliant les changements de géographies et d’échelles, passant du silence absolu de l’espace au torrent secoué par les vents, oscillant du macro au micro pour mieux mesurer par le contrepoint la violence de l’acte, le film s’aborde alors comme un OVNI sensoriel dont l’horizon serait la recherche d’une expérience globale embrassant tous les points de vue de l’évenement.

Mieux : en doublant ce travail esthétique d’une discrète musique de Yann Tiersen, fonctionnant par vagues et nappes successives tintinnabulant façon Arvo Part, il parvient à s’élever au rang opératique d’un magnifique ballet de la destruction.

En témoigne cette sublime séquence sous-marine ou les notes et le vent viennent faire vibrer les éléments du cadre. Poissons, algues et crustacés, baignés dans une noirceur monochromatique rappelant les lavis de Hugo, tout à la fois subjuguant et effrayant.

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  • Je suis le vent.

De là le statut assez problématique de la voix-off, prononcée avec fougue par Romane Bohringer, et qui, inutile redite du visuel, cède à la gaucherie du « je ».

Cet artifice naïf du « vent qui parle », librement inspiré et réécrit à partir d’un texte de Victor Hugo (« la mer et le vent ») , elle se gaufre dans un lyrisme gonflé de sucre rappelant les plus belles heures du romantisme (ô temps…) : « vous ne me connaissez pas, tant que vous n’avez pas vu mon cœur » ou « je serais le monstre, si je n’étais la merveille », catchline de l’affiche du film.

Pliant le film à sa sensiblerie pataude, elle lui fait prendre le pas d’un spectaculaire parfois assez limite, quand il ne dépasse pas la ligne jaune du faux pas, avec les victimes cubaines mises en scène de manière assez putassière au cœur de leur ruines, musique larmoyante et traveling à la clef.

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Tricotant par excès de zèle le parti d’une vision déiste du vent, force millénaire venant depuis la nuit des temps démolir les hommes, elle vient même contredire le propos initial du film. Au point qu’il faille attendre les ultimes instants pour enfin entendre qu’un ouragan n’est pas un accident, mais un cycle, intégré dans le tissu du monde.

Car le cycle, immuable « gonflement, destruction, constat », et dont seul le dernier point permet à chaque fois de mesurer son résultat sur l’Homme, ne doit pas faire oublier le véritable propos du film : une destruction créatrice, engendrée par la Nature pour la Nature.

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Véritable ode à la résilience, le vent n’y apparait alors que comme une manière de remettre à zéro les compteurs d’une Nature qui, quoi qu’il en soit, se relèvera toujours.

Quand il est adopte le point de vue de Sirius, s’élevant au dessus du sens, le film est sublime.

C’est ce travail poétique et sensoriel que viennent saper les mots, réduisant le spectre de la sensation à de l’information, alors que le film n’est jamais plus beau que lorsque, prenant confiance dans ses propres moyens, il suit sa veine picturale pour nous envelopper de silence et de musique.
Résilients et détruits. Vaguement sonnés, effrayés et fascinés : brindilles anonymes balayées par les vents. Enfin fragiles, enfin à notre place dans le cycle du monde.

En salles le 8 Juin 2016.

A noter la parution en parallèle du film d’un sympathique livre chez ACTES SUD junior, « Ouragan, l’Odyssée d’un vent », qui complète agréablement la vision du film, notamment pour les plus jeunes, en refictionnalisant une nouvelle fois l’histoire de Lucy, sous la forme d’un journal de bord, jour après jour, de l’histoire de l’ouragan.

Si l’on peut regretter son iconographie finalement assez pauvre (captures du film, quelques aquarelles) et un manque de remise en perspective, le texte se contenant de suivre l’évolution de l’ouragan alors qu’on aurait aimé plus de schéma et de mise à distance du narratif, les (trop peu) nombreux focus sur les aspects plus techniques se révèlent, eux, très enrichissants et stimulants : l’échelle de Saffir-Simpson mesurant la force des vents, la nécessaire présence de la destruction pour l’écosystème de la forêt, « comment se forme un ouragan », …

ACTES SUD junior, 88 pages, 15 euros.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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