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Il y a des films qu’on aime (heureusement !), d’autres – plus rares- que l’on adore mais il existe aussi une catégorie regroupant des œuvres -pas forcément parfaites pour d’autres que nous- sans lesquelles notre cinéphilie n’aurait sans doute jamais eu le même visage. Phantom of the Paradise fait incontestablement partie de cette catégorie.

Que dire encore d’un tel film? Les opéras rock furent un bon filon au cinéma et donnèrent quelques grands films, que ce soit Tommy de Ken Russell ou le cultissime (pour une fois, l’horrible expression « film culte » ne me semble pas galvaudée) The Rocky Horror Picture Show. Mais je n’en place aucun aussi haut que le Phantom of the Paradise de De Palma, archétype de l’œuvre inusable, qui m’a accompagné durant toute ma vie de cinéphile (j’ai bien dû la voir une dizaine de fois et je me souviens l’avoir regardée sur la vieille VHS familiale le soir des résultats du bac) et que je connais par cœur (il m’arrive régulièrement, en plus, d’écouter la BO !)

Que dire donc ? Que De Palma revisite avec génie le mythe de Faust qu’il conjugue avec celui du Portrait de Dorian Gray (ce n’est plus un tableau qui vieilli à la place de Swan mais une bande vidéo) et du Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux ; le tout mêlé aux thèmes chers au cinéaste : l’image, le pouvoir, la manipulation ? Sans doute…

Il faudrait également parler de l’extraordinaire virtuosité de la mise en scène, de cette utilisation diabolique du « split-screen » pour dynamiser l’action, de ces séquences quasi-burlesques où De Palma filme en deux temps trois mouvements la chute en enfer de notre pauvre Winslow (le compositeur qui se fait voler sa musique et qui devient l’âme damnée du « Paradise », l’imposante salle de spectacle où règne le tout-puissant producteur Swan), de ces morceaux musicaux qui s’intègrent parfaitement au récit et qui brusquement vous nouent les tripes (a-t-on déjà aussi bien représenté l’amour impossible du Pygmalion pour sa « créature » qu’au moment où Phoenix entame le déchirant Old love et que le Phantom braque le projecteur sur elle ?) .

Il faudrait également parler du maniérisme de De Palma et de sa conscience d’arriver après la mort du cinéma classique. On retrouve déjà dans Phantom of the Paradise des citations d’Hitchcock, qu’elles soient directes (la scène de la douche de Psychose revisitée de manière parodique et fort drôle puisque Winslow cloue le bec à un affreux chanteur avec une ventouse : un rêve pour tous ceux qui ont déjà entendu brailler Johnny ou Sardou !) ou indirecte (cet étonnant moment où Winslow joue les voyeurs et contemple son aimée dans les bras de Swan sans se rendre compte qu’il est lui-même regardé par une caméra de surveillance). Déjà chez De Palma se développe un dispositif de mise en scène qui révèle que l’image n’est plus innocente, qu’elle est une construction qui autorise la manipulation et qui cache plus qu’elle ne montre…

Enfin, il faudrait presque citer toutes les scènes, tous les enchaînements et mettre un mot pour chaque émotion que procure ce film magistral. De Palma, qui a connu des déboires avec sa première expérience de tournage pour un grand studio (Get to know your rabbit qui fut remonté dans son dos par la Warner), met en scène un créateur dépossédé de sa musique par un grand ponte méphistophélique avec un bonheur d’invention inégalé. La puissance du film, c’est d’être à la fois très hétéroclite  (ruptures de ton, mise en scène totalement baroque avec ses surimpressions, ses grands angles, ses accélérés…) sans que chaque segment finisse par annihiler le précédent. Je m’explique : le film peut être à la fois extrêmement drôle (le personnage haut en couleur de Beef) mais cela ne l’empêche pas d’être aussi poignant (Old Love, encore et toujours) tout comme le côté absolument grisant de la géniale bande-son (Paul Williams for ever !) n’empêche pas le spectateur d’être parfois angoissé ou traumatisé par certaines scènes.

En ce sens, De Palma parvient à un équilibre parfait qui fait de Phantom of the Paradise son premier authentique chef-d’œuvre qu’on peut voir et revoir sans la moindre lassitude.

NB : Le film ressort chez Carlotta dans une version restaurée et dans un coffret magnifique comportant, entre autres, de nombreux suppléments où l’on pourra entendre De Palma revenir sur cette aventure, un portrait de Paul Williams par Guillermo Del Toro ou encore la mésaventure liée au nom d’abord choisi pour la maison de disque par le cinéaste : « Swan song »

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Phantom of the Paradise

(Etats-Unis, 1974, 92 minutes)

Réalisation : Brian de Palma

Scénario : Brian de Palma

Musique : Paul Williams

Photographie : Larry Pizer

Interprétation : Paul Williams, William Finley, Jessica Harper, Gerrit Graham

Éditeur : Carlotta films

Sortie en coffret DVD le 12 avril 2017

Pour des informations complémentaires sur le contenu de coffret : voir ici

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A propos de Vincent ROUSSEL

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