Andreï Tarkovski – "Nostalghia"

NOS STALS GISENT

« La nostalgie c’est comme les coups de soleil ; ça fait pas mal pendant, ça fait mal le soir. » (Pierre Desproges)

YES I CANNES ? NO YOU KANT !

Ça a débuté comme ça. Avec cet enfoiré de Sergueï Bondartchouk, venu sur la Croisette en mai 83 pour se payer celui qui, pour l’éternité, lui avait piqué le titre du plus grand cinéaste russe de l’histoire de toutes les Russies, j’ai nommé mon Tarko adoré. Alors le jury inventa une marmelade comme seule Cannes sait en concocter : le grand prix de la Création, lot de consolation offert ex æquo à deux cinéastes spécialisés dans le claqué de fauteuils et les lazzis narquois : Bresson pour L’Argent, d’après Tolstoï (tiens un Russe !) et Tarko donc, pour Nostalghia…. Pourquoi pas un prix d’encouragement tant qu’on y est ? Bresson ne tournera plus jamais, Tarkovski nous offrira un dernier film : Offret (Le Sacrifice, meilleur film de Cannes 86, mais comme d’hab’ doublé sur la ligne par l’immense Roland Joffé et son mystique toc Mission), avant de s’éteindre à Paris, le 29 décembre 1986, victime d’une tumeur au cerveau.

TARKOTRIP

Nostalghia, c’est quoi ? Sans doute pas le meilleur film mais à coup sûr le plus abordable de notre démiurge préféré, celui qui fait la synthèse de toutes ses obsessions, celui par lequel on peut éventuellement commencer son tarkotrip, celui qui contient facile trois des plus beaux plans de l’histoire du cinéma (travelling thermal en va et vient, et plan final de la datcha dans la nef devant flaque d’eau avec son regard caméra qui te hantera longtemps, le troisième tu choisis : y a plein d’options), celui qui te propose la Russie en Italie, la lucidité dans la folie, la révolution sans le matérialisme dialectique, un voyage dans l’espace-temps sans effets spéciaux, celui qui paraît en dvd après tous les autres (merci MK2, merci ARTE malgré les années d’attente). Où ça ? Ironie du sort, chez Films sans Frontières ! Magique coïncidence, puisque le film parle justement de l’abolition des frontières, idée magnifiquement matérialisée dans le dernier plan de la nef à ciel ouvert… Nous y reviendrons.

A cette époque Andreï est déjà le plus grand cinéaste au monde, personne ne s’est encore remis du Stalker (mais c’est quoi la chambre des vœux ? dans quelle zone erre-je ?), et ceux qui ont vu Le Miroir sont toujours en train de se demander ce qui s’est réellement passé dans la salle de projo ce jour-là (moi c’était le lundi 2 juin 1986, jour férié de mon calendrier personnel) ; donc Tarko travaille avec qui il veut : le générique est bigarré et un chouïa prestigieux.

© Potemkine


GUEST TZAR

Ecrit avec Tonino Guerra (Un papillon sur l’épaule de Jacques Deray !! c’est lui ! mais aussi quelques trucs avec Antonioni, Fellini ou les frères Taviani) ; éclairé par Guiseppe Lanci (qui a tenu une caméra sur un petit western signé Leone en 1968…)- coproduit par Toscan (qui à cette époque coproduit tout ce qui se tourne dans un rayon de 2 000 km autour du 8ème arrondissement), figurez-vous que le film faillit se faire avec le duo Ardant-Trintignant. Tarko avait vu la Fanny dans La Femme d’à côté et le Jean-Louis dans je ne sais trop quoi mais admiration réciproque, rencontre, parlote, où faut signer ? z’avez un stylo ? et Truffaut met tout le monde d’accord avec un polar dominical.

Finalement ce furent donc Oleg Jankovski (déjà vu dans Solaris et Le Miroir et à qui Tarko devait – paraît-il – un film) et Domiziana Giordano (pré-Nouvelle vague godardienne) avec sa chevelure de madonne préraphaélite, qui s’y collèrent : une paire limite improbable mais hautement éthérée, en un mot : casting impeccable complété par l’immense acteur bergmanien Erland Josephson, futur « héros » incendiaire de l’ultime « sacrifice ». Je ne vais pas gloser sur le jeu des comédiens, la consigne générale étant de ne rien faire, un peu dans le style du Caubère de Molière-Mnouchkine.

© Potemkine

SI VOUS AVEZ RATE LE DEBUT…

Voici le topo, a priori rien de renversant, les films de Tarkovski ne se racontent pas mais s’éprouvent. Il l’a souvent dit, l’intrigue ne l’intéresse pas. Bref sacrifions à la coutume : Gortchakov, un poète, parcourt l’Italie afin de rassembler des informations sur Berezovski, un compositeur-serf russe du XVIIIème siècle. L’histoire réelle de ce Berezovski préfigure le destin de Gortchakov, en effet le compositeur fut envoyé par son maître en Italie pour y étudier ; rongé par la nostalgie RUSSE, il retourna au pays où finalement il se pendit.

SI VOUS AVEZ RATE LA FIN…

Gortchakov s’éteindra dans une piscine (l’eau) après avoir sauvé la flamme d’une bougie (du vent) pendant que Domenico le fou s’immolera (par le feu) sur une place publique romaine, au son de la dernière symphonie de Beethoven. Un dernier plan nous montre le poète assis (par terre), à côté de son chien, devant sa maison russe, posée au milieu d’une cathédrale italienne.
Qu’a voulu faire le cinéaste ? « Reproduire l’état d’un homme en profond désaccord avec le monde et avec lui-même, incapable de trouver un équilibre entre la réalité et son désir d’harmonie ». On le voit bien ici, la nostalgie n’est pas seulement celle de la maison natale, c’est aussi celle « de la plénitude de l’existence ».

© Potemkine

VICTOIRE DE L’HOMME FAIBLE

Le « héros » tarkovskien est donc un homme faible, c’est-à-dire un homme traçant son propre chemin de croix individuel, rejetant la poursuite des privilèges personnels et matériels, capable d’un amour désintéressé pour son prochain, allant jusqu’à se sacrifier pour stopper une Humanité courant à sa perte. Le moine Roublev, Kelvin dans Solaris, le protagoniste du Miroir, le stalker, Gortchakov et le fou Domenico, et pour finir Alexandre dans Offret, tous refusent la voie toute tracée de la routine matérialiste et de la dégradation spirituelle, tous prennent le risque d’être incompris, et la plupart d’entre eux accomplissent un acte de foi, déraisonnable aux yeux du monde, dont la finalité est justement la paix et l’harmonie de ce monde, sauvé malgré lui.
Je vous parlerais bien de la mise en scène mais il se trouve que Tarkovski en parle lui-même, très bien, dans son livre Le Temps scellé, l’occasion de vous inviter à le (re)lire….

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