Alexander Mackendrick – "Cyclone à la Jamaïque" (1965 – reprise)

Inédit depuis sa sortie originelle, toujours indisponible en DVD en France, Cyclone à la Jamaïque est une œuvre « pour la jeunesse » atypique qui mérite largement d’être redécouverte. S’éloignant du film d’aventure traditionnel, Alexander Mackendrick propose avec cette adaptation du roman de Richard Hughes une confrontation riche et parfois très crue entre le monde de l’enfance et celui des adultes. Même s’il lui manque pourtant sur cette thématique  les traits de génie cinématographiques de films comme Moonfleet ou La nuit du Chasseur.
C’est bien là le problème majeur de l’œuvre, et la difficulté à en faire malgré tout aujourd’hui un bijou mésestimé : la mise en scène reste en soit assez conventionnelle même si elle n’a rien d’indigne. Mackendrick est à vrai dire un cinéaste qui se met surtout au service de ses acteurs (Tueurs pour Dames) ou de ses scénarios (Le grand chantage, film disons le un peu ennuyeux…), sans plus-value particulières au niveau esthétique ou narratif. Si ce n’était la belle photographie en cinémascope de Douglas Slocombe, peu de choses distingueraient formellement ce film de certaines œuvres des studios Disney réalisées par Ken Annakin à la même époque par exemple (Les Robinsons des mers du Sud). Quelques belles idées, comme ce dernier plan sur la petite Emily contemplant une maquette de bateau  s’éloignant dans un bassin, ne prennent ainsi pas vraiment forme faute d’une réelle sensibilité.
Si le film avait été estampillé Disney on aurait pu relever une anomalie jubilatoire dans la fabrique… Ici il faut se contenter d’un film Fox en scope qui n’a pourtant pas tout à fait la puissance qu’il pourrait revendiquer au vu de son contenu. (*1) On ne sera pas complètement injuste avec Mackendrick qui opte tout de même pour quelques choix intéressants (mais peut-être budgétaires aussi), comme celui d’exécuter les scènes d’abordage avec beaucoup de minimalisme, ou carrément hors champs. Cyclone à la Jamaïque survole les clichés du film de pirate et d’aventure comme s’il ne s’en sentait que très peu concerné. La vie quotidienne à bord ou le rythme nonchalant d’une traversée sont ici les véritables éléments qui importent, le film s’inscrivant clairement dans un versant le plus lancinant et réaliste du récit maritime. Un tempo que l’on peut voir aussi dans une autre perspective comme inhérent à un regard propre à l’enfance, si l’on accepte de la concevoir comme psychologiquement hors du temps. La confrontation à des événements violents ou inattendus, exercée tour à tour par la nature ou la société, est ainsi une source de ruptures… parfois insidieuses quand l’enfant se retrouve confronté à la cruauté de sa propre nature.
Le petit groupe de Cyclone à la Jamaïque est tout de suite très attachant, tout particulièrement la jeune Deborah Baxter dans le rôle d’Emily, celle qui nouera une amitié plus qu’ambiguë avec le capitaine Chavez (Anthony Quinn). La petite héroïne a beau ici être une sorte de garçon manqué, nombre des scènes entre ces deux protagonistes restent aussi tendres que troublantes, éloignant le spectateur de la simple relation initiatique faîte d’admiration et de duperie (comme celle entre Jim et Long John Silver dans L’île au trésor). Emily sort tellement du lot ici que les autres enfants paraissent sans doute avoir des rôles plus fonctionnels (c’est le cas de Margaret, l’adolescente la plus âgée du groupe, personnage plus sexuellement source de souffre mais au final très banalement exécuté)… ce qui n’empêche pas plusieurs autres jeunes acteurs d’avoir droit à de très belles scènes.
Dans le fond on peut louer Cyclone à la Jamaïque pour nombre de situations difficiles mettant en scène ses jeunes héros, qui sont d’une franchise assez rare pour un film hollywoodien de 1965 : attirance pour le vaudou, mort très sèche de l’un des jeunes du groupe, souffrance exprimée sans retenue… Les spectacles de tortures qu’ils doivent subir diffèrent aussi des péripéties plus entraînantes des films d’aventure classiques. Chavez et Zac (James Coburn) se révèlent d’ailleurs comme des pirates faisant plus figure de banals escrocs à la petite semaine, ne parvenant même pas à être pathétiques… Sauf peut-être lors de cette scène où les enfants dévissent la tête de la figure de prou du bateau, faisant sombrer d’un seul coup dans le ridicule bien des mythes littéraires et romantiques autour de la piraterie (déjà esquints par quelques choix plus directement comiques, comme ces attaques en traître menées en se travestissant).
En filigrane, Cyclone à la Jamaïque est aussi à voir comme un récit anglais socialement acerbe, évoquant le colonialisme comme figure d’un pouvoir et d’une société victorienne particulièrement figée, aussi malvenue à occuper son « empire » que par sa prétention à vouloir le conserver. L’enjeu du film dés le départ semble de vouloir sauver désespérément « la bonne éducation »  menacée de toute une classe d’enfants expatriés. L’épilogue qui fait appel au film de prétoire est particulièrement cinglant à ce niveau dans le traitement tout en miroir de la bonne conscience et de la culpabilité de chacun, frôlant même en quelques minutes un discours franchement nihiliste. En vérité, si Cyclone à la Jamaïque apparaît dans son execution assez plat et impersonnel (surtout en comparaison des inspirations gothiques et oniriques de quelques chefs d’œuvre évoquant des thématiques similaires) il ne faudrait pas écarter d’un revers de main l’originalité du traitement neutre, et parfois même incommode, qu’il a à offrir.
(*1) Comme l’évoque cet article de Sight and Sound disponible sur le site The Sticking Place, près d’une demi-heure de film aurait été mutilée par la Fox, qui aurait aussi allègrement remonté l’ensemble… Un élément à garder en tête pour relativiser les critiques formulées dans cette chronique.

 

Reprise en salle ce 6 avril 2011

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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