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Même si le contexte économique s’avère peu favorable à l’édition de livres sur le cinéma, l’offre actuelle en la matière se révèle relativement riche et variée. Aux côtés d’éditeurs plutôt bien installés (Capricci, Yellow Now, Rouge Profond…), de nouvelles maisons voient le jour, à l’image de Playlist Society qui, depuis deux ans, publie des essais plutôt courts, sous d’élégantes couvertures stylisées, sur des cinéastes (Malick, Mann, Edwards), des séries télé (le dernier ouvrage en date de l’échoppe est consacré à Mad Men) ou encore la musique (un essai sur le groupe Swans).

Déjà auteur d’ouvrages consacrés à David Fincher et Brian de Palma, Dominique Legrand aborde ici l’œuvre de Tobe Hooper qui, pendant longtemps, fut considéré comme l’homme d’un seul film : le mythique Massacre à la tronçonneuse. L’ambition de Legrand est double : à la fois revenir sur ce film matriciel, ce coup de tonnerre après lequel le cinéma d’horreur n’aura plus jamais le même visage et montrer que cette œuvre est également l’arbre qui cache la forêt et que le reste de sa filmographie mérite d’être redécouverte.

L’auteur privilégie ici une approche transversale. Plutôt que de revenir en détail sur le parcours du cinéaste et d’analyser chronologiquement les films un par un, il part de la notion de « territoire » au sens large pour explorer les arcanes de l’œuvre de Tobe Hooper. Dans un premier temps, il étudie le rapport du cinéaste au territoire américain : loin des studios hollywoodiens ou des grandes mégalopoles, le réalisateur filme une « autre Amérique », celle des « redneck » dégénérés (Massacre à la tronçonneuse, Le Crocodile de la mort et son motel miteux…), des banlieues pavillonnaires (Poltergeist) ou des petites villes provinciales (Les Vampires de Salem).

C’est au cœur de ces lieux isolés, où le temps semble s’être arrêté, que le cinéaste va puiser son inspiration et invente un style mêlant une vision hyperréaliste et critique de l’Amérique et des réminiscences du conte gothique et macabre (que l’on retrouve notamment dans la seconde partie de Massacres dans le train fantôme). Dominique Legrand souligne parfaitement comment cette vision de l’Amérique est hantée par les fantômes du passé et les traumatismes d’une nation : l’assassinat de Kennedy, la guerre du Vietnam et même le génocide indien. Qu’il s’agisse de la profanation d’une sépulture qui donne le point de départ à Massacre à la tronçonneuse ou la maison de Poltergeist construite sur un cimetière, les morts finissent toujours par revenir hanter les vivants chez Tobe Hooper.  Mais son cinéma vient également de l’enfance et du conte fantastique : ses films sont peuplés de monstres (Leatherface en premier lieu) qui symbolisent toujours une certaine part maudite d’une humanité mise de côté : le tenancier du motel du Crocodile de la mort, la famille de Massacre à la tronçonneuse, les forains de Massacres dans le train fantôme

Avec beaucoup de minutie, Dominique Legrand trace une sorte de topographie de l’univers d’Hooper : la nation en premier lieu mais également les endroits où évoluent ses personnages, notamment la maison dont l’auteur dresse une typologie précise. Chez le cinéaste, les lieux et les objets ont une fonction symbolique et renvoient aux secrets enfouis d’une société marquée par divers traumatismes.

Le livre est à la fois clair et instructif, souvent très brillant dans ses analyses. On peut tout juste regretter que l’auteur ne prenne pas un peu plus de temps pour présenter chaque film pour ses lecteurs qui ne les auraient pas vus. Il extrait de chacun d’entre eux des passages significatifs pour étayer sa démonstration mais bien malin qui pourra se faire une idée globale de Mortuary ou même de L’Invasion vient de mars s’il n’a jamais eu l’occasion de les découvrir.

De la même manière, on constate que Dominique Legrand peine parfois à s’éloigner de l’orbite de Massacre à la tronçonneuse. C’est une évidence : ce film est la pierre angulaire de l’œuvre d’Hooper et un chef-d’œuvre absolu. Du coup, même si l’auteur s’efforce de montrer la cohérence de la filmographie, on constate qu’il développe finalement assez peu l’analyse des autres films. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas là de critiquer la pertinence des thèses de Dominique Legrand qui, comme je l’ai dit plus haut, sont globalement pénétrantes. Mais peut-être de se dire qu’au bout du compte, en dépit de quelques évidentes réussites (Poltergeist, Massacres dans le train fantôme…) et quelques films à (re)découvrir (Le Crocodile de la mort, Massacre à la tronçonneuse 2, Lifeforce…), Tobe Hooper n’a finalement été l’homme que d’un seul film…

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Les Territoires interdits de Tobe Hooper, 2017

Dominique Legrand

Editions Playlist Society

ISBN : 978-2-954950-9-5

14€

En librairie depuis le 21 février 2017 

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A propos de Vincent ROUSSEL

1 comment

  1. David D.

    Ce livre est plaisant à lire. Mais s’il s’attarde plus sur Massacre à la tronçonneuse, c’est aussi parce que c’est le film qui a été le plus traité ailleurs.
    Pour ceux qui ont lu les publications anglo-saxonnes notamment, ils s’apercevront que ce livre ne propose absolument rien de nouveau. De plus, l’auteur n’a probablement pas vu les travaux de Tobe Hooper réalisés dans les années 90 pour la télévision. C’est fort dommage car c’est une période oubliée par les critiques alors qu’elle contient de belles choses (Robe de Sang, L’Homme de nulle part, etc.). Je suis donc frustré par ce livre qui a pourtant la prétention de ne pas résumer Tobe Hooper à Massacre à La tronconbeuse.

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